Le thème de la chasse infernale – qui porte aussi de nombreux autres noms – se retrouve avec d’infinies variantes à travers toute l’Europe. Il trouve vraisemblablement son origine dans la chevauchée céleste d’Odin, à la recherche de connaissances qu’il transmet aux hommes. Dans l’imagination populaire, secondée par le fracas des tempêtes d’équinoxe, la portée métaphysique du mythe scandinave s’est incarnée d’une manière assez générale dans l’histoire d’un chasseur maudit dans l’éternité pour ses forfaits terrestres. L’Ardenne n’est pas avare de ces récits dans lesquels, comme c’est le cas pour le sire d’Herbeumont, le personnage central est à la fois un seigneur injuste et cruel et un chasseur impie profanant le repos dominical. L’intervention du diable y est un élément peu fréquent.
Die Wilde Jagd (« La Chasse sauvage »). Toile de Johann Wilhelm Cordes, vers 1856. (Wikimedia)
Bâti dans le troisième tiers du XIIIe siècle, le château d’Herbeumont était une forteresse tournée vers la France et surveillant une partie de la vallée de la Semois. Un des châtelains qui s’y sont succédé, le comte Renaud, avait la réputation d’être un homme dur pour lequel la chasse était une passion dévorante que six jours par semaine ne pouvaient assouvir. Aussi le dimanche n’était-il pour lui pas plus sacré que les champs prêts à être moissonnés qu’il traversait sans vergogne avec chiens et chevaux.
Un dimanche matin, alors que, sourd aux objurgations de son épouse, il venait de pénétrer avec son équipage sur la colline boisée du Dansau, un endroit redouté aujourd’hui encore pour ses maléfices, il vit venir à lui deux cavaliers. Le premier, jeune et blond, montait un cheval blanc, tandis que l’autre, plus âgé et le teint sombre, menait un cheval noir. Le comte Renaud les invita à se joindre à sa chasse, mais le jeune homme lui rappela que c’était le jour du Seigneur, tandis que son compagnon, au contraire, incita le sire d’Herbeumont à ne pas s’arrêter en si bon chemin. Renaud eut vite fait son choix et lança ses chiens à la poursuite d’un cerf à l’imposante ramure.
Le soir n’allait pas tarder à tomber lorsque ce cerf, épuisé, se réfugia dans la chapelle d’un ermite. Celui-ci adjura Renaud de ne pas profaner le sanctuaire. Le comte n’en avait cure: insultant et menaçant le saint homme, il le bouscula pour entrer avec ses chiens dans la chapelle.
Aussitôt, parmi de fulgurantes lueurs, le sol se mit à trembler, Satan apparut et tordit si bien le cou du chasseur que celui-ci, remis en selle, ne pouvait voir que la croupe de son cheval, qui l’emporta au même instant dans une chevauchée éperdue, poursuivi par une meute acharnée, vomie par l’enfer et qui ne devait pas le lâcher avant la fin des temps.
Parfois, au hasard de cette folle randonnée nocturne, le comte Renaud traverse encore les bois du Dansau dans le vacarme des galops et de la meute déchaînée.
Nous remercions chaleureusement Monsieur Albert Moxhet pour ce texte (2002)
Le château d’Herbeumont est érigé au sommet d’une crête rocheuse épargnée par la Semois qu’il domine de plus de 111 mètres. Le château est érigé par Jehan de Rochefort, fils de la maison de Walcourt, en l’an 1268. L’escarpement naturel de la montagne a longtemps rendu le château inaccessible de trois côtés. (Photo Denis Maqua)
Plus d’info sur le site de l’asbl SAS, association qui a pour but la sauvegarde et la promotion des monuments et sites archéologiques de la vallée de la Semois et de ses environs
Ni Obélix, ni le Diable, ne sont pour rien dans le bel ensemble de mégalithes entourant la petite localité de Wéris. De là à dire que ces monuments ont livré tous leurs secrets, il y a un pas que nous nous garderons bien de franchir.
Edgard Schindeler, un témoignage photographique inédit
Le photographe Edgard Schindeler est membre d’une famille liégeoise plutôt aisée. Il vit le jour à Seraing en 1880 et décéda en 1951 après avoir laissé un témoignage photographique inédit.
Si son patronyme est de consonance bien peu wallonne, c’est qu’il le doit à l’aïeul fondateur de la famille, un militaire Suisse. Le soldat rencontra une belle hollandaise vers 1758 à Maastricht et fonda un foyer qui s’installa bientôt dans la cité Liégeoise. Sont-ce les origines suisses qui firent que le couple et ses descendants prospérèrent rapidement et, au fil des générations, devinrent fonctionnaires, occupés dans les métiers du droit, de la finance ou encore de la banque ? Edgard naquit donc sous une bonne étoile mais ne semblait pas être intéressé par de hautes responsabilités, il devint modestement photographe. C’est à la Fabrique Nationale de Herstal (la F.N.) qu’il exerça sa profession de photographe industriel entre 1921 et 1937.
Mais son talent, c’est à travers tout le pays, et principalement en Ardenne qu’il le révéla.
Schindeler et l’Ardenne
L’ancien corps de garde du château de Bouillon. C’est ainsi que Schindeler a annoté cette photo dans son carnet de notes. Photo de 1934
Grâce à la situation bourgeoise de la famille, et dit-on, grâce à un gain substantiel à la loterie (*voir note), il s’offrit en 1929 une belle automobile ; une FN évidemment. Durant ses temps libres, il sillonne le pays pour fixer, non pas sur pellicule, mais sur plaque de verre de nombreuses scènes de vie, des bâtiments et surtout, des paysages. Son œuvre exceptionnelle est reconnue et appréciée par ses collègues photographes dont la plupart exerce dans le milieu des cartes postales. Cette expression artistique n’a rien de dérisoire, car à l’époque, la carte postale est en effet un puissant vecteur de diffusion d’images.
S’il visite les grandes villes du pays, c’est souvent en Ardenne que son art (et son auto) le ramène. Bouillon, La Roche, Spa, Vielsalm sont devenus ses points de chute réguliers. A Vielsalm, sa fille Fanny épousa le propriétaire de l’Hôtel Belle-Vue qui brûla complètement en 1938, hélas. A La Roche en Ardenne, Edgard lui-même acheta l’Hôtel du Nord qu’il n’exploita cependant jamais personnellement. Il en confia la gestion à une famille rochoise chez qui il revenait souvent. C’est aussi à La Roche qu’il fit ses derniers clichés de la région en 1946, les plus tragiques également. Lors de l’Offensive des Ardennes, la cité fut dévastée par les bombardements de décembre 1944, le photographe fixe les ruines sur ses fidèles plaques de verre.
L’Hôtel de Belle Vue où sa fille vécut à Vielsalm. Le bâtiment à été détruit par un incendie et a aujourd’hui disparu.
Il décéda à Herstal en 1951, laissant près de 2000 clichés qui forment un témoignage direct et sincère du paysage ardennais de l’entre-deux guerres. ——————–
* Note : L’idée de gain à la loterie bat un peu de l’aile lorsqu’on sait que la “Loterie coloniale”, telle qu’elle était appelée à l’époque, fut créée en 1934 seulement. ——————–
D’après le catalogue de l’exposition prévue à Herstal en 2020 : Jean-Claude Massart, Serge Alexandre, Anne-Marie André, Jean-Luc Devillers
Schindeler à La Roche-en-Ardenne en 1945
La Roche détruite par les bombardements durant l’Offensive des Ardennes.
En 2019, pour commémorer les 75 ans de la Bataille des Ardennes et la destruction de la cité, la ville de La Roche organisa une exposition des photos d’Edgard Schindeler : 75 photos pour 75 ans. La salle du CPAS accueillit l’exposition qui retraçait ce qu’était la vie à La Roche avant la guerre. A l’extérieur des photos de plus grands formats illustraient les dégâts des bombardements. Ces photos placées sur les lieux même où elles ont été saisies par Edgard Schindeler permettaient de découvrir la cité rochoise avant et après les bombardements de décembre 44. La commune de Herstal également se souvient de son citoyen photographe. Une exposition rétrospective prévue en 2020 dut être reportée faute de Covid 19. Partie remise !
Les plaques de verre en photo
Dès 1850, le verre sert de support aux négatifs photographiques. L’émulsion sensible adhère au support grâce à un liant, le collodion humide était le plus utilisé. La gélatine le remplace à la fin du 19ème siècle, elle permet l’utilisation de la plaque sèche rend la manipulation des négatifs beaucoup plus pratique et donc, plus abordable. La photographie bénéficie de tous les progrès technologiques de l’époque. Les appareils peuvent devenir plus légers et être désormais tenus en mains, ils ne requièrent plus l’usage systématique du pied. La qualité des objectifs s’améliore et les appareils sont équipés d’un magasin à plaques. Edgard Schindeler continue cependant à travailler avec une chambre photographique sur pied. Peut-être est-ce une habitude prise dans l’exercice de sa profession de photographe industriel à la F.N. de Herstal? La qualité de ses cadrages et la précision de l’exposition montrent le soin dont il faisait preuve lors de ses prises de vues.
Sur les rives de l’Ourthe, le château de Logne occupe un piton rocheux surplombant la rivière. L’emplacement est, comme il se doit pour une forteresse, choisi afin d’offrir un site dominant les alentours et difficilement accessible. En ce temps-là, les châteaux-forts faisaient la guerre, pas du tourisme.
En 1521, Charles-Quint, excédé par les meurtres et les rapines de la famille de La Marck, celle du Sanglier des Ardennes, fit raser le château.
Mais bien plus tôt, en l’an 1100, Waleran, duc de Luxembourg habitait les lieux et régnait sur la région. A quelques lieues de là, son vassal le seigneur de Bierloz avait la charge de sécuriser le domaine car le brigandage était fréquent. De Bierloz remplissait sa mission de police avec une certaine aisance, il avait par contre, beaucoup plus de difficultés à surveiller et protéger sa fille Marthe. Marthe de Bierloz était d’une beauté fascinante. Son teint légèrement bistré, sa noire et abondante chevelure, ses grands yeux bruns d’où jaillissaient des éclairs, sa taille haute et fine, son port de reine, tout contribuait au prestige d’une merveille devant laquelle on se sentait pris d’une vive admiration.
Ainsi, les prétendants étaient-ils nombreux à s’attarder aux environs de Bierloz. Les palefrois* des chevaliers en visite de courtoisie se croisaient sans cesse sur les chemins, jusque dans la cour du château de Bierloz. La mignonne ne prêtait guère d’attention à ces nobles guerriers, elle n’était pas intéressée par la gloire ou la fortune. C’est Alard qu’elle aimait, un simple page* aux yeux bleus et à chevelure blonde. Le page était lui aussi transi d’amour pour la belle et savait que malgré la différence de rang, il deviendrait bientôt l’époux de Marthe. Le seigneur de Bierloz, brave homme, donnerait son consentement à cette union, ainsi qu’à n’en point douter, Waleran le maître du page également.
Waleran était bien le seul homme de toute la région à ignorer la beauté et la personnalité de Marthe. En fait, il ne connaissait pas la jeune femme, tout simplement.
La visite au château, jour maudit
En un jour maudit, le seigneur de Bierloz eut la très mauvaise idée d’envoyer sa fille au château de Logne pour y porter au duc un magnifique coq de bruyère* chassé le matin même. Et bien sûr, le duc fut beaucoup plus séduit par la beauté de Marthe que par la chair du coq de bruyère. Le duc en perdit tout sens du devoir, offrit tant et tant d’or et de bijoux à la jeunette que celle-ci à son tour se laissa séduire. Son cœur fut plus sensible au vil attrait de la richesse qu’à l’amour éperdu que lui portait Alard, elle offrit son cœur et son corps au duc.
Le page en mourut de chagrin peu de temps après. Frappé par le déshonneur de la famille, le père de Marthe le suivit de peu. Marthe elle, restait indifférente au deuil ainsi qu’au mépris et à la réprobation générale. Elle caressait ses bracelets, ses colliers, ses chaines d’or qu’elle amassait sans retenue.
Tant et si bien que, devant une telle avidité, le duc lui-même se détourna de la Belle et finit par enfermer sa concubine dans les souterrains du château. Un jour, on la trouva morte. Son corps était enlacé, emballé peut-on dire, par toutes les richesses qu’elle avait amassées. Les colliers, les chainettes entravaient ses jambes, elle était comme étouffée par ses joyaux. A la Noël suivante, dans les fossés du château, on aperçut une chèvre blanche qui errait. L’animal était couvert de bijoux resplendissants, les témoins reconnurent les parures de Marthe.
Depuis lors, toutes les nuits de Noël, les paysans du voisinage se pressent aux alentours du château, espérant apercevoir et détrousser la chèvre. Ils se défient les uns les autres, soulevant de lourdes pierres, sondant les puits, explorant les creux des rochers.
Beaucoup au cours de siècles aperçurent la chèvre, mais nul n’est encore arrivé à s’en emparer.
Gatte : Désigne une chèvre en langue wallonne.
Palefroi : Alors que le destrier est la monture réservée à la guerre ou à la chasse, le palefroi est le cheval de parade ou de promenade. Le cheval du dimanche, en quelque sorte.
Page : Jeune homme généralement d’origine noble, attaché au service d’un seigneur.
Coq de bruyère : Le tétras lyre était une espèce fréquente en Haute Ardenne jusqu’au début du 20ème siècle. Il était un gibier de choix. Aujourd’hui, il est totalement protégé et ne subsiste plus que très difficilement dans les Hautes Fagnes. (Image Wikimedia commons)
Adaptation libre selon la version De Hubert Stiernet pour une édition de l’agence Havas en 1929. L’illustration par Gustave Flasshoen est également extraite de cette même édition. L’illustration du titre est créée à partir d’une photo de Logne par Steve Lemoine
Il y a quelques décennies déjà que la forêt ne connaît plus l’odeur des fauldes, et qu’il ne reste plus guère du charbonnier que quelques expressions dont l’origine est en passe de devenir définitivement incompréhensible pour ceux-là même qui les emploient à l’occasion. Allons donc à la rencontre des charbonniers, maîtres chez eux, avant que la mémoire se perde.
Si tous les métiers de la forêt recèlent leur part de mystère, souvent entretenue par l’environnement forestier lui-même, celui de charbonnier occupe une place particulière entre toutes. Car ceux-là vivaient en forêt plusieurs mois par an, farouches et ressemblant à autant de démons avec lesquels ils partageaient la science du feu.
Dans la hutte qu’il construisait, le charbonnier était bel et bien « maître chez lui », s’affairant nuit et jour autour de la faulde tandis que sa famille procédait aux activités parallèles, conduisant les brouettes, réparant les sacs, sciant les bois destinés à être transformés, cordant les stères et veillant sur le quotidien. Rude quotidien, on s’en doute, dans une promiscuité qui ne laissait guère de place aux grandes envolées lyriques.
Hutte de charbonnier, de bûcheron, de sabotier. Les travaux forestiers se faisaient en équipe, et en famille.
La plupart des charbonniers exerçaient, hors saison, la profession de sabotier ou de bûcheron. Et certains villages se vidaient littéralement lorsque celle-ci arrivait, à l’image de Presgaux (Thiérarche), où 31 ménages émigraient alors vers les huttes de la forêt.
Tout près de celles-ci, la faulde était tenue à l’œil sans relâche : il ne faut pas confondre quelques morceaux de bois carbonisé avec du charbon de bois. La confection de celui-ci répondait à un savoir-faire précis ne laissant aucune place à l’improvisation.
LA FAULDE SANS FAUTE
Le charbonnier délimitait tout d’abord la surface de base de la faulde en plantant un bâton en son centre et, au départ de celui-ci, en comptant un nombre égal de pas déterminant autant de rayons permettant de tracer la circonférence de base. L’aire était alors ratissée, égalisée, et la faulde toujours replacée au même endroit par la suite. Ce qui explique la présence – de plus en plus résiduelle, il est vrai – d’espaces circulaires à la flore particulière dans nos forêts.
Les travailleurs des bois installaient toute la famille dans la hutte durant la période d’exploitation de coupe forestière.
L’opération suivante consistait à planter trois piquets de la hauteur terminale de la faulde, entourés de rondins empilés triangulairement (croisades) constituant la cheminée autour de laquelle une trentaine de stères étaient empilées verticalement, en bûches de 80 à 90 cm. Le fourneau était ainsi formé, dont les bois les plus fins formaient une manière de coque recouverte de feuilles puis enfin d’une couche de terre. Le charbonnier avait entre temps ôté les piquets centraux et recouvert la cheminée par une tôle ou un gazon.
Pour la mise à feu, il montait à l’échelle, ouvrait la cheminée, prenait une pelle de feu et la descendait, puis il faisait glisser au fond un premier sac de braisettes enfoncées jusqu’au fond à l’aide d’un pieu appelé « avalwè » (avaloir). Cette opération était renouvelée une seconde fois deux ou trois heures plus tard.
La mise à feu terminée, l’évolution du feu devait être surveillée nuit et jour par les charbonniers qui montaient sur la faulde deux ou trois fois par jour, recouvrant la cheminée pour éviter toute entrée d’air. Au bout du deuxième jour, le feu devait être arrivé au sommet de la faulde, qui commençait à fumer.
Le troisième jour, les fauldeurs grimpaient sur la meule et marchaient sur toute la surface. Si celle-ci s’affaissait, ils comblaient les défoncements avec de la terre pour éviter le feu. Le soir, ils veillaient l’apparition des « feuwèes » signalant l’activation du feu à un endroit précis. Celui-ci était dirigé par une douzaine de « trous de pied » à la base de la faulde, ouverts ou bouchés en fonction de l’activation. La faulde était protégée du vent par de grands cadres recouverts de paille ou de sacs : les paillassons.
Le quatrième jour, le feu était cuit et les charbonniers veillaient à ce qu’il n’y ait aucune « feuwette » jusqu’au complet refroidissement. la tête centrale annonçait la qualité du charbon de bois : si elle était trop grosse, le feu avait été trop vite et le charbon serait de moindre qualité.
Une fois la faulde refroidie, les morceaux de bois du pied (piétons) étaient enlevés, la butte peignée et frappée à l’aide d’un râteau à tête large (buchwè) de manière à l’égaliser. Une fois la poussière enlevée, le charbon était prêt à être tiré.
EXTINCTION DES FEUX
Comme on peut s’en douter, la confection de savants barbecues dominicaux ne constitua longtemps qu’une partie très anecdotique de l’utilisation du charbon de bois. Celui-ci servait surtout pour la cuisine, le repassage (dans ce type de fer à repasser à couvercle que l’on retrouve encore quelquefois sur les brocantes), le zingage et l’usinage du cuivre.
La meule est terminée, on va pouvoir la couvrir de terre et y bouter un feu doux. Et puis, l’homme de droite pourra allumer sa pipe 🙂
Après la guerre de 14-18, l’électricité et le gaz ont commencé à le supplanter. Et si la guerre suivante rendit un peu d’air aux charbonniers, ce ne fut que de manière très provisoire : le progrès technique a mis petit à petit un terme à cette activité comme à tant d’autres.
Aujourd’hui, ce sont des fours industriels qui produisent le charbon de bois. La masse y a gagné, mais ce fut au détriment de la qualité.
Au détriment d’un type bien particulier de forestier, aussi. Restent quelques sites remarquables par la persistance des traces, quelques reconstitutions plus ou moins heureuses, et, surtout, une légende.
Rencontrant naguère un vieux paysan, je lui demandai ce qu’il pensait de l’évolution des métiers de la terre. La réponse fut sans équivoque : « Plus dur, ça oui. Plus physique. Mais il y avait tout le temps du monde dans la campagne et dans les bois. On s’entraidait, on causait, et ça t’obligeait à réfléchir avant de te mettre en brouille avec quelqu’un. Et puis, surtout, on avait le temps : tu ne savais pas aller plus vite que les saisons, ou que ton cheval. Aujourd’hui, tu ne vois plus grand monde et quand tu vois quelqu’un c’est en coup de vent, à travers une cabine de machine ».
Nostalgie ? Chaque époque a les siennes. Mais il est clair que la mécanisation – contrairement à sa vocation première – ne libère que très relativement les individus. Et qu’elle tue les personnages. Le charbonnier en était un, de fameuse stature.
Ecrit par :Patrick Germain 11-11-2008 Source :« En Fagne et Thiérarche » – T 11 – 1970 – Cercle d’histoire régionale de Presgaux. La photo de l’entête appartient à la collection personelle de Mr Lemaire de Stavelot. L’origine des autres photos est inconnue.
Agapit Delmont, le dernier faudeu
Agapit, fut très certainement le dernier charbonnier d’Ardenne à produire le charbon de bois de façon artisanale. Il vécut dans les bois des Hauts-Buttés en Ardenne française jusqu’en 1979.
Voyez un reportage de 35 minutes diffusé sur la RTBF en 1978 :
Toute langue par ses concepts, ses intonations etc, influence nécessairement le mental de celui qui, bon gré mal gré, la pratique. C’est donc, aussi, un outil politique. En 1876 Bismarck l’a très bien compris, promulguant un « Kulturkampf » auquel un prêtre fagnard va apporter son grain de quartzite. À la rencontre de Nicolas Pietkin.
Un prêtre contre le Kulturkampf
Né à Malmédy le 6 décembre 1849, Nicolas Pietkin fait ses humanités aux collèges de Malmédy et de Neuss, avant d’entreprendre des études de philosophie et de théologie à Bonn. Ordonné prêtre à Cologne le 24 août 1875, il ne supporte pas les contraintes linguistiques imposées à l’avènement de Bismarck : en 1876, entérinant un « Kulturkampf » (combat culturel) amorcé dès 1862, l’allemand devient en effet la seule langue administrative en terre d’Empire, où s’inscrit l’Est de la Belgique actuelle. Enseignement et religion ne tarderont pas à subir le même diktat. C’en est trop pour ce jeune prêtre indéfectiblement attaché à la tradition latine, qui choisit l’exil.
En 1879 toutefois, il se plie au mandement de l’évêque d’Aix-la-Chapelle et va seconder le curé de Sourbrodt, avant de devenir administrateur de la paroisse, puis titulaire de celle-ci en 1881. Persistant dans son opposition au Kulturkampf, il n’hésite pas à s’adresser en wallon à ses paroissiens, et privilégie le catéchisme l’évêché de Liège au détriment de celui l’état prussien. Manière comme une autre de donner des leçons de français aux jeunes, qui en sont désormais dépourvus à l’école. Mais s’il en combat la politique culturelle, Pietkin n’en reste pas moins fidèle à l’Empire allemand jusqu’en 1914.
Au sommet du monument se trouve un bronze représentant la louve romaine allaitant Romulus et Remus, symbole de la civilisation romaine et latine.
Un monument détruit par les nazi en 1940
Arrêté et gardé comme otage plusieurs jours durant, le curé de Sourbrodt prend alors pleinement conscience des finalités du Kulturkampf. C’est désormais un homme déçu – et souffrant – qui va s’efforcer de poursuivre sa mission auprès des familles éprouvées par la guerre, sans distinction d’ordre linguistique.
Après avoir vu avec soulagement l’ancienne Kreis prussienne d’Eupen-Malmédy rattachée à la Belgique en 1919, au titre de dommages de guerre, l’abbé Pietkin est décoré de la Médaille de l’Ordre de la Couronne en 1920. Il meurt à Malmédy un an plus tard, le 9 janvier 1921, et c’est toute une région qui lui rend hommage lors de funérailles impressionnantes. Homme de conviction, Nicolas Pietkin s’est par ailleurs distingué à travers de nombreux travaux et publications philosophiques ou scientifiques. Musicologue et poète à ses heures, on doit également à ce Fagnard acharné plusieurs études et actions au bénéfice de la région. Il fera entre autres analyser les eaux ferrugineuses du « pouhon « qui porte aujourd’hui son nom, étudiera les vertus des plantes et sera l’un des sauveteurs du Boultè (un monument des Hautes-Fagnes).
Trois années après l’armistice, l’Assemblée wallonne, sous la plume de Remouchamps, invite toutes les communes wallonnes à fêter la Wallonie le 25 septembre 1921. Ce jour-là correspond à la Journée du drapeau malmédien, manifestation organisée en faveur d’un rattachement de Malmédy à la Belgique. Le secrétaire général de l’Assemblée wallonne invite alors chaque commune à arborer au minimum le drapeau wallon et le drapeau malmédien. Celui-ci sera mis en vente et le fruit de celle-ci devra permettre d’ériger un monument en hommage à Nicolas Pietkin.
C’est chose faite le 3 octobre 1926. Mais l’édifice est détruit en 1940, lors de l’annexion au Reich nazi. Reconstruit en 1956 par le sculpteur Maréchal, d’après les plans de l’architecte Gérard, il trône encore au carrefour des routes d’Ovifat et Elsenborn. Le bas-relief en bronze est celui d’origine, coulé par Georges Petit en 1925.
Le médaillon en bronze, de 1,2 mètre de diamètre est celui d’origine, coulé par Georges Petit en 1925.
Le Général Baron Baltia fut désigné gouverneur de la région Eupen-Malmedy au mois d’Octobre 1919, à la suite du traité de Versailles qui redessinait la carte européenne après la défaite de l’Allemagne en 1918.
La nation lui rendit hommage une nouvelle fois à l’occasion de l’émission d’un timbre poste en 1961.
Patrick Germain – 2007 Source : “Guide de la Fagne” – A.J. Freyens Photos : Mediardenne – 2020
La Croix des fiancés de la Fagne à la Baraque Michel
Le samedi 21 janvier 1871, François Reiff et Marie Solheid quittent Jalhay pour se rendre à Xhoffraix. C’est là que Marie est née, le 10 octobre 1846. Là qu’il faut se rendre pour se procurer les documents indispensables en vue d’un prochain mariage. La Fagne est couverte de neige. Le ciel plombé, tourmenté de bourrasques qui balaient le plateau. Mais l’amour est aveugle, et Marie entêtée : les fiancés ne reviendront pas.
Les fiancés de la Fagne
Tout a pourtant bien commencé, quelques mois plus tôt à la kermesse de Jalhay : Marie Solheid, servante de ferme à Haloux, du côté de Limbourg, y fait la rencontre de François Reiff, un solide Bastognard âgé de 32 ans occupé à la construction du barrage de la Gileppe. Coup de foudre ! Et mariage à la clef. Le plus vite possible : Cupidon, à l’époque, rend des comptes à saint Pierre. Et saint Pierre à l’administration.
Ce samedi-là, François et Marie ont donc décidé de rejoindre Xhoffraix. Nul ne saura jamais pourquoi ils ont choisi de se lancer dans une équipée dont la jeune femme, enfant du haut-plateau, ne peut ignorer les périls : 16 kilomètres, au moins, à travers les tourbières enneigées! Quand ils eussent pu, en empruntant le chemin de fer via Pepinster et Hockai, couvrir ensuite sans danger les quelques lieues restantes. Bravade de jeunes amants ?
On sait qu’ils prennent le déjeuner à Jalhay, au Café Mixhe où travaille Lambert Solheid, frère de Marie. Celui-ci, à l’unisson des autres personnes présentes, tente de dissuader les deux jeunes gens. En vain. Sur le coup de midi, ils quittent l’auberge. Des témoins les voient passer peu après, luttant contre la tourmente, sur le chemin de Jalhay à Xhoffraix. Puis plus rien.
Les fiancés ne reviendront pas
Jusqu’au 16 mars 1871, où le journal verviétois “Le Nouvelliste” relate : “Lundi dernier, vers 5 heures du soir, à environ une lieue en amont de Solwaster, commune de Sart, on a découvert le corps d’un inconnu (…) Il était habillé d’un nouveau sarrau de lin, d’une casquette de velours et d’un pantalon de satin noir. Il portait une nouvelle chemise de lin fin, un gilet de coton rayé bleu et blanc et de légères chaussures à lacets presque neuves (…) Épuisée par une fatigue extrême, la victime a été tuée par le froid (…)” Le jour suivant, l’inconnu a un nom : François Reiff.
Une semaine plus tard, le 22 mars vers onze heures, un douanier prussien effectuant sa ronde découvre le corps sans vie de Marie Solheid au pied de la borne-frontière 151, sur le Sart Lehro. L’endroit est distant de quelques deux kilomètres de celui où François est tombé, et la tradition rapporte que le fonctionnaire trouve sur la jeune femme un mot griffonné au crayon par François : “Marie vient de mourir et moi je vais le faire”.
Une modeste croix de bois rappelle la fin tragique des fiancés de la Fagne. Ils seront pourtant séparés à jamais, les parents de Marie firent enterrer leur fille à Xhoffraix, François fut enterré a Sart – Photo de Jacques Chouffart
Mais que s’est-il passé ?
Si l’inventaire des vêtements portés par François Reiff en dit long sur l’impréparation ayant préludé au drame, et que le curé de Xhoffraix note dans son livre de décès que le corps de Marie était « intact et bien conservé », on ne peut que conjecturer au sujet des dernières heures des fiancés.
François est-il aux côtés de Marie lorsque celle-ci meurt à quelques centaines de mètres de la Baraque Michel ? Auquel cas, pourquoi retourne-t-il sur ses pas, au lieu d’aller chercher secours auprès des habitants d’un refuge dont sa promise ne peut que lui avoir parlé ? Marie a-t-elle d’abord perdu connaissance plus tôt, sur le vieux chemin de Xhoffraix ? Revenue à elle, la jeune femme se serait alors traînée, seule, vers la Baraque Michel. Jusqu’à l’endroit où l’on allait découvrir sa dépouille.
Quoi qu’il en soit, persuadé – à tort ou à raison – que la femme qu’il aime vient de mourir ; désorienté en ces lieux inconnus noyés dans la tourmente ; trempé jusqu’à l’os, transi de froid et sans doute tenaillé par un lourd sentiment de culpabilité, François Reiff était devenu un oiseau pour le chat.
La croix du souvenir
Située à l’endroit où Marie Solheid rendit l’âme, près de la borne 151, la première « croix des fiancés », datant de 1893, fut remplacée par une autre qui résista jusqu’en 1931, année où le Touring Club offrit une nouvelle croix à laquelle, en 1984, fut substituée une suivante. Voici enfin cette que nous connaissons aujourd’hui, offerte par un groupe bénévoles date de 2019.
La croix de 2019, c’est près de la borne 151 que le corps de marie fut découvert.
Il s’agit là de l’un des monuments les plus connus et les plus visités des Hautes-Fagnes. Voire, en son genre, de l’Ardenne même. Sans doute la tragédie qui s’y rattache, tant humaine, n’est-elle pas étrangère au fait. Combien ont confié à la croix solitaire, l’espace d’un regard ou posant sur ses bras quelques brins de callune, le poids d’amours perdues aux tourbières du coeur et qu’on n’oublie jamais ?
Il est de coutume présenter un hommage aux fiancés. Cela peut être un simple rameau de bruyère accroché à la croix.
La tragédie des fiancés de la Fagne a marqué les esprits fagnards. La croix est depuis longtemps un lieu de recueillement pour les populations locales, mais aussi pour de nombreux touristes. Très tôt les éditeurs de cartes postales ont consacré des publications dédiées à ce lieu. On remarque qu’un brin de bruyère apparait sur une des cartes, mais surtout les crucifix qu’on ne remplacera pas avec le temps.
Les différentes publications de cartes postales permettent de mesurer l’évolution du paysage fagnard et de la place croissante de l’épicéa dans l’environnement.
Textes autres photos : Mediardenne et Patrick Germain 2020
Note :
*Selon les sources, les Fiancés ont quitté Jalhay le samedi 21, ou le dimanche 22 janvier 1871. La première date, retenue par Gielen et les Amis de la Fagne entre autres, paraît plus vraisemblable : quel qu’ait pu être le degré d’inconscience des deux infortunés – et à moins d’un suicide prémédité – il leur fallait sans aucun doute (Marie, en tout cas) être présents sur leurs lieux de travail dès le lundi.
Source :
“La Croix des Fiancés – Quand Fagne et Forêt se souviennent…” Viktor Gielen (Traduit de l’allemand – Ed Markus à Eupen – 1976) “Guide de la Fagne” Antoine J. Freyens (Marabout, chez Gérard à Verviers Vème édition – 1967)
Faire la promenade de la Croix des fiancés
Une balade familiale en forme de boucle d’un peu moins de 6 kilomètres
Où est la Croix des fiancés ?
La Croix des fiancés
Au départ de la chapelle Fischbach, la croix se trouve à peu près un kilomètre plus loin, le long de la balade qui porte son nom.
Deux chevaux : l’un est noir, l’autre blanc. La rêne les tient en avant. Qui tient la rêne, noir et blanc ? Et ces chevaux qui sont-ils donc ? Les lunes passent, passeront, tant se posera la question. Les pierres s’en souviennent : en ces années vivait Rambert, un hobereau dont la motte castrale se dressait à Grimbiémont ; non loin d’une rivière dont on avait perdu le nom, mais dont les eaux cristallines n’en finissaient pas de subjuguer le modeste seigneur. Celui-ci, il est vrai – tout redoutable combattant qu’il fut – nourrissait un goût prononcé pour le beau. Esthète, érudit, poète à ses heures, s’il pratiquait la chasse c’était bien davantage pour se nourrir que par amour de l’acte, au contraire de ses turbulents voisins.
Ainsi l’aube venait-elle d’étaler ses brumes dans la vallée, ce jour-là, quand Rambert, au sortir d’un taillis, tomba nez à nez avec une biche magnifique. Celle-ci le regardait innocemment tandis qu’il bandait le puissant arc d’if, s’apprêtant à décocher un trait mortel. Mais le jeune homme n’alla pas au bout de son dessein : baissant son arme, il regarda l’animal s’en aller lentement vers la rivière, puis s’endormit au pied d’un bouleau dont le tronc tourmenté plongeait ses racines sous l’herbe tendre du printemps.
Son instinct de guerrier le fit sortir de sa torpeur : quelqu’un était là, tout près ! Les yeux mi-clos, le chevalier s’apprêtait au pire, laissant glisser sa main vers la dague qu’il portait à la ceinture, dans un geste de dormeur. S’il fallait vendre sa peau, ce serait au prix fort. Quelque chose, pourtant, lui disait qu’il n’avait rien à craindre. Mais allez donc savoir : deux chevaux. L’un est blanc, l’autre noir. Qui tient les rênes, s’il les tient ?
Le doute fut dissipé lorsque, prêt à toute éventualité, il ouvrit les yeux et se tourna vers la présence. Celle-ci, une jeune femme aux cheveux blonds ondulant en cascade jusqu’au creux de ses reins, d’une beauté irréelle, voilée à peine par un tissu léger où le soleil faisait chanter les pleins et les déliés, le regardait paisiblement. Et ces yeux ! Il les connaissait bien, ces yeux : ceux de la biche, tout à l’heure ! Une petite chèvre au poil doré se tenait aux côtés de cette apparition dont Rambert était certain qu’il ne l’avait jamais rencontrée sur ses terres, ni sur celles d’alentours.
Ils se regardèrent longuement, sans mot dire, avant que le jeune homme rompe enfin le silence : « Je suis Rambert, seigneur en ces terres, et vous, belle dame, qui êtes-vous ? » « Appelez-moi Lienne, gentil seigneur ». Un silence, encore. De ces silences habités où tout s’exprime sans un mot. Où tout peut – où tout doit – se décider, faute de passer à côté de l’un de ces rendez-vous que la vie place sur le parcours. Deux chevaux : l’un est blanc, l’autre noir. Leurs rênes sont à l’encolure : nul ne les tient, qui les prendra ?
« Je… », balbutia Rambert. « Vous ? » répondit la femme en souriant. « Je… Je ne sais quels mots… vous dire… ». « Alors, à moi donc », enchaîna la belle : « Je suis la fée de cette rivière. Et comme tu l’as deviné, j’étais dans le corps de la biche, tout à l’heure, que tu as épargnée. Tu ne me connais pas, mais moi je te connais. Peu importe comment, mais je te connais. Et te sais différent des autres hommes… Attends, laisse-moi achever » fit-elle, coupant tendrement la parole au jeune homme. « Je sais quel est ton voeu, et combien grande est mon envie d’y répondre. Mais tu dois savoir que cinq années seulement nous seront données, au bout desquelles je devrai te quitter pour rejoindre le royaume des dieux anciens. Dis-moi, à présent que tu sais, ce que ton cœur brûle de me dire. S’il le veut toujours ». Rambert ne dit mot : il s’approcha d’elle et l’étreignit.
Ils ne rentrèrent que quelques jours plus tard au château, où l’inquiétude suscitée par cette absence inhabituelle fit rapidement place à la liesse des épousailles auxquelles la petite chèvre au poil doré assista, sagement allongée aux pieds du couple. Les mois, les années passèrent, durant lesquels le sombre donjon de Grimbiémont se transforma en bienheureux séjour couru par tout ce que l’Ardenne et les pays alentours comptaient de musiciens, de ménestrels, d’érudits. Grâce à la chèvre, dont il suffisait de tondre les poils d’or – car c’était bien de l’or – pour payer bâtisseurs, orfèvres et autres marchands d’étoffes exotiques, la maison de Grimbiémont devint prospère. Reconnaissant, Rambert la fit même figurer sur ses armoiries. Les mois, les années passèrent. Deux chevaux : l’un est noir, l’autre blanc, la rêne les tient en avant. L’un des deux s’en ira pourtant, Rambert ne voyait que le blanc : les hommes font ainsi, souvent. Vint le jour des adieux. Là même où ils s’étaient connus, Lienne et Rambert se rendirent, seuls. La fée, émue, posa un ultime baiser sur les lèvres de son bien-aimé, qui ne pouvait retenir ses larmes : « Tant de bonheur, Lienne… » Mais elle, déjà, se transformait en brume et disparaissait, laissant Rambert à son chagrin. Il rejoignit tristement le château ou les cabrioles de la chèvre d’or, que son amour avait laissée, ne parvenaient plus à le distraire. Ménestrels et montreurs d’ours se firent de plus en plus rares. Un vieil homme, borgne et manchot, était devenu la seule présence que Rambert tolérait lorsqu’il s’en allait, des heures durant, arpenter les berges de la rivière à laquelle il avait rendu le nom de celle qu’il espérait toujours retrouver : Lienne. Désespéré, il partit pour la croisade et se couvrit de gloire, faute d’y mourir comme il l’eût souhaité.
À son retour, il quitta Grimbiémont, qui s’enfonça dans les broussailles et, grâce aux poils de la chèvre d’or, fit construire un nouveau château à Grimbièville, quelques lieues plus loin. Peu après, il épousa Brunehilde, la fille d’un seigneur voisin. Très pieuse, celle-ci séjourna peu auprès de Rambert : cette chèvre d’or et les bruits qui courraient au sujet des amours de celui-ci avec une fée lui faisaient redouter ce séjour. Où elle ne se trouvait d’ailleurs que pour obéir à son père. Elle donna descendance à son époux, puis rejoint un cloître lointain selon son plus ardent désir. Le chevalier pour sa part, devenu Baron, vécut quelques années encore avant d’expirer dans les bras de son seul ami, le vieillard borgne et manchot, tandis que la chèvre d’or lui léchait le front. C’était, le croiriez-vous, en bord de Lienne ; et Rambert rendit l’âme dans un sourire tandis qu’ un voile de brume se posait sur la scène.
Longtemps encore, les sires de Grimbièville vécurent prospères grâce à la chèvre d’or. Mais la peste survint, qui fit des ravages, n’épargnant personne : le dernier descendant de Rambert et ses trois fils périrent dans d’atroces souffrances. Le château fut abandonné, et avec lui la chèvre de Lienne. Un soir, un terrible orage s’abattit sur les murs désertés, rendant la pierre à la pierre, le bois à la forêt qui avait envahi les essarts et jusqu’au parc du bâtiment. Dans un éclair, on vit la chèvre d’or s’élever dans les nuées, pour disparaître à jamais.
Voilà : l’histoire est dite. Ou presque. Car si, par bonheur, vos pas vous mènent en bords de Lienne par un beau matin d’été, quand la brume gorgée de soleil étend sa gaze sur les prés, il ne tiendra qu’à vous d’être attentifs pour apercevoir la fée qui, cinq années durant, fit le bonheur de Rambert sur cette terre. Avant de l’accueillir de l’autre côté du miroir, un matin qu’il partit aux Iles Bienheureuses. Deux chevaux : l’un est noir, l’autre blanc. La rêne les tient en avant. Qui tient la rêne, noir et blanc ? Vous la voulez ? Je vous la tends. Passe passant les fils d’argent, rênes des rêves et du temps : qui les a faites nous attend.
Ecrit par : Adaptation libre de Patrick Germain 24-10-2007 À la mémoire de mon père, François Germain.
L’idée de relier la Meuse au Rhin n’était pas tout à fait neuve lorsque Guillaume d’Orange Nassau se lança dans un des plus grands chantiers de son époque. L’entreprise avortée nous léguera un des sites les plus insolites de toute l’Ardenne : le souterrain de Buret ou canal de Bernistap.
De la France à la Belgique en passant par la Hollande
Et saut dans le temps, pour commencer : en 1814, l’Empire français commence à vaciller, l’empereur est exilé sur l’ile d’Elbe. Sans savoir que Napoléon reviendra un an plus tard et sera définitivement battu à Waterloo, le congrès de Vienne confie les destinées de ce qui n’est pas encore la Belgique, ni le Grand-duché de Luxembourg au roi Guillaume de Hollande. Un garçon bien sympathique, au départ, mais qui va mal tourner. Ses maladresses, comme disaient alors les diplomates, feront qu’il sera rapidement pris en grippe par ses nouveaux sujets. L’imposition du néerlandais comme unique langue nationale, les vexations infligées aux catholiques (les Hollandais sont majoritairement protestants), l’augmentation des impôts, la censure de la presse et la laïcisation de l’enseignement font déborder le vase. Par la révolution de 1830, les Belges et les Luxembourgeois boutent Guillaume dehors et prennent leur indépendance.
Un projet pour ouvrir la voie du développement
Guillaume, s’il n’était pas très psychologue avec la diversité de ses sujets, avait cependant une vision économique progressiste. Conscient que le développement passait nécessairement par un réseau de communication efficace, il engagea une série de grands travaux. Et certains, comme notre canal de Bernistap, accéderont au podium des “Grands travaux inutiles”.
Les voies de communication les plus faciles pour l’époque sont incontestablement les voies d’eau, car elles permettent le transport rapide de tonnages importants. Si on conçoit bien aujourd’hui, de développer la mobilité par des liaisons entre deux autoroutes parallèles, il paraissait tout aussi évident au 19ème siècle de construire ces liaisons entre deux fleuves parallèles, tels que la Meuse et le Rhin.
Guillaume se donna corps et âme dans ce projet au point d’y investir une fortune de sa cassette personnelle.
La ferme de Bernistap
La ferme de Bernistap était le point de départ du chantier du canal. On y faisait la cuisine, on y blanchissait le linge des ouvriers. Elle était le “poste avancé” des gestionnaires du chantier. Elle a retrouvé sa pleine fonction d’exploitation agricole dès la fin du projet et cela perdure encore aujourd’hui. En face de la cour de la ferme, le passage qui permet la balade du canal. La balade est réservée aux piétons car l’endroit est désormais classé en zone de protection “Natura 2000”.
L’Ourthe, la Wolz puis la Moselle, et enfin le Rhin
Sur la carte, on voit la Meuse à l’ouest et son passage à Liège qui s’industrialisait déjà en ce début de 19ème siècle. On voit, à l’est, le Rhin qui traverse Bonn ou Cologne. Sur la carte, on a vite fait de tracer une ligne droite entre ces grandes cités.
Alors, grands Dieux, pourquoi passer en Ardenne, là où il y a encore des loups, où c’est plein de marécages dans les vallées, pratiquement montagneux, inaccessible, bref, presque la lune ?
Et bien voilà : d’abord, Bonn ou Cologne sont en territoire prussien, pas hollandais. Peu d’intérêt donc pour Guillaume. Et puis, les voies d’eau les plus réalisables sont celle qui existent déjà. Vous êtes d’accord ? Evidemment, ce qui est fait n’est plus à faire !
Il fallait donc trouver un endroit où ces deux grands fleuves se côtoient par l’intermédiaire de leurs affluents. Quitte à remonter aux sous affluents, voire aux sous-sous affluents.
Et là, quelque part, à proximité villages de Tavigny, de Buret et de Hoffelt, le ruisseau de Tavigny prend sa source en direction de l’Ourthe puis de la Meuse. De l’autre côté de la ligne de crête, naît un autre ruisseau qui lui s’en va vers la Woltz. Il n’y a qu’un peu plus de cinq kilomètres qui séparent ces deux voies d’eau.
Le tracé est donc dessiné par la nature. Encore faut-il que ces rivières naissantes soient rendues navigables. Ce qui rend le projet ambitieux et même très ambitieux. Plus des deux cents écluses seront nécessaires entre Liège et Wasserbillig, des kilomètres de chemins de halage, un travail colossal.
Cependant le gros morceau des travaux reste quand-même de relier l’Ourthe et la Woltz ; là il faudra vraiment creuser un canal et entailler la colline pour que les rivières se rejoignent par l’intermédiaire de nos ruisselets découverts entre Tavigny et Hoffelt.
Qu’est-ce que c’est que cette histoire de tunnel ?
Comprenons-nous bien !
Dans un sens comme dans l’autre, il faudra passer de l’autre côté de la ligne de crête en bateau. Par définition, une ligne de crête, c’est haut, bien plus haut que les deux ruisseaux que nous devons relier par un canal. Tellement haut qu’il faudrait au point culminant, creuser de 60 mètres pour rejoindre le niveau qui relierait nos deux sources. Soixante mètres, c’est quand-même fort haut pour celui qui doit grimper, et fort bas pour celui qui doit creuser.
Là où il y aurait trop de déblais à évacuer, il est bien plus facile de creuser SOUS la terre et de faire un tunnel.
Et voilà l’idée.
Les promoteurs eurent le bon goût de commencer ce grand projet par son passage le plus difficile : le tunnel qui devait s’étirer sur un tracé en ligne droite de 2528 mètres. Bien leur en prit car la liaison fluviale ne sera jamais terminée.
Peu de temps après les débuts du chantier, les Hollandais furent renvoyés chez eux avec leurs capitaux et leurs finances. Recapitaliser le chantier était en soi un grand casse-tête, mais surtout, le chemin de fer naissant rendait le transport fluvial beaucoup moins vital au développement économique. La liaison fluviale devenait inutile.
Ainsi donc, de la ferme de Bernistap s’en va un canal abandonné d’un peu plus d’un kilomètre pour arriver à l’entrée d’un tunnel qui devait traverser la colline sur deux kilomètres et demi pour rejoindre la tranchée de Hoffelt et relier l’Ourthe belge à la Wolz luxembourgeoise. Il fut creusé sur la moitié de sa longueur initiale avant l’abandon des travaux. Plus tard, un éboulement l’a bouché à trois cents mètres de l’entrée.
Que d’efforts, que de sueur pour rien, notre époque n’a pas inventé les « travaux inutiles ».
Le souterrain qui devait être creusé à 60 mètres sous le sommet de la crête ne sera jamais terminé et le rêve de Guillaume ne verra jamais le jour.
Le canal est devenu une réserve naturelle (classée Natura 2000)
De la ferme de Bernistap à l’entrée du tunnel, il y a plus ou moins 1 kilomètre de canal. Arrachés à la colline, les déblais étaient remontés par des femmes portant des paniers en osier sur leurs dos. Lorsqu’on progresse le long du canal, on chemine sur un sentier surélevé constitué de tout le schiste extrait de la tranchée. Il régnait sur le chantier, une agitation sans commune mesure avec la quiétude qui baigne les lieux aujourd’hui. Les castors, qui ont envahi l’endroit, semblent vouloir continuer la tâche en abattant les arbres qui ont pris possession des remblais.
Même l’eau du canal s’est endormie sur ce prestigieux projet. Sans courant, l’eau claire au printemps se couvre de mousse dès la venue de l’été.
Le souterrain, qu’on n’appellera tunnel que plus tard
Il devait trouer la colline sur exactement 2528 mètres. Les ouvriers progressant d’environ 1 mètre par jour avaient fait la moitié du travail avant l’abandon du projet. Plus tard, un éboulement s’est produit à trois ou quatre cents mètres de l’embouchure. On peut encore distinguer les attaches qui servaient aux bateliers à haler leurs embarcations.
Souterrain ou tunnel ?
Les contemporains des travaux – et la chose n’est pas interdite de nos jours – parlaient de souterrain, à propos de Buret : tunnel est un mot anglais qui n’est apparu que plus tard, dans le sillage du chemin de fer.
Draguer ?
L’entrée de l’ouvrage s’est progressivement envasée au fil du temps. Le tunnel haut de quatre mètres ne laisse plus qu’un passage très étroit. D’aucuns voudraient lui rendre son aspect original, mais le site est désormais rendu à la nature. Le souterrain devenu grotte abrite des espèces protégées de chauves-souris.
Remettre le site en état ? C’est possible, selon un ingénieur retraité : “Tout est possible ! Certaines maçonneries pourraient être remises en valeur sans grande difficulté. Pour le reste, il faut draguer des tonnes de boue, et consolider des versants. Ca aussi, c’est possible, mais il faut amener les machines et le charroi sur place. Ce qui, moyennant une bonne coordination du chantier, pourrait se faire par une voie unique qui n’a pas besoin d’être une autoroute. Reste ensuite à savoir que faire des boues de draguage.
Bateaux
Les plus gros bateaux (des Bètchètes) destinés à naviguer sur le canal mesuraient 25 m de long, et 2 m 50 de large, pour un tirant d’eau de 80 cm. Charge comprise, leur poids maximum atteignait 60 tonnes. L’équipage était composé d’un batelier, de deux mariniers et d’un cheval. Dans les souterrains, la progression se faisait à l’aide de gaffes destinées à haler le bateau en s’accrochant aux barres et autres étriers disposés sur la voûte, à espaces réguliers.
L’illustration extraite de la brochure touristique présentant l’ouvrage montre bien par quelle méthode les bateliers faisaient progresser les “betchettes” à l’intérieur du tunnel.
En savoir plus
La rivière contrariée : le roman de Gery de Pierpont
Sur fond de mission économico-politique à l’ancienne, La Rivière contrariée entraîne ses lecteurs dans une passionnante enquête à rebondissements. Ce récit d’aventures, tissé dans une page d’histoire aussi fascinante que méconnue, valut à son auteur le Prix Alex Pasquier (Roman historique) de l’Association des Écrivains belges (2003).
Une brochure explicative et gratuite est disponible au Syndicat d’Initiative de Houffalize. Une balade de 15 Km est également proposée jusqu’à la découverte de l’entrée du canal.
C’est en 1950 que fut inauguré l’un des monuments les plus connus d’Ardenne : le Mardasson. Érigé en l’honneur des soldats américains tombés en Belgique durant toute la seconde guerre mondiale, il est généralement associé à la bataille “du saillant” dans la mémoire collective. Et pour cause : les pertes en vies humaines y furent plus importantes que durant les combats du débarquement en Normandie.
Le fait, tout déplorable soit-il, mérite d’être rappelé : les combats de l’Offensive des Ardennes furent les plus meurtriers qui se soient déroulés sur le front occidental durant la seconde guerre mondiale. Dans le triangle Elsenborn – Echternacht – Celles, les historiens militaires s’accordent généralement sur les chiffres, côté américain, de 8.607 tués, 21.144 disparus et 47.139 blessés.
Le Mémorial du Mardasson représente l’hommage du peuple belge à la nation américaine à travers celui rendu aux combattants tombés sur son sol. Sa réalisation est due à une initiative de l’ « Association Belgo-Américaine », groupement constitué en 1945 et comprenant diverses personnalités belges désireuses de perpétuer le souvenir.
Bastogne fut choisie pour ériger ce mémorial du souvenir, parce que l’effort américain y fut le plus décisif. Pour les Américains, Bastogne symbolise leur esprit légendaire de résistance, mais aussi leur sens de la contre-attaque victorieuse.
Le 4 juillet 1946, là où allait se trouver le point central du Mémorial, un peu de terre était prélevée et déposée dans un coffret, bientôt scellé en présence de l’ambassadeur des USA et expédié par avion spécial vers Washington. Une délégation belge, conduite par le ministre de la Défense Nationale, remit ce coffret sacré au président des États-Unis d’ Amérique, Harry Truman.
C’est au-dessus de ce point central que se trouvera la dalle en pierre du pays, portant l’inscription: LIBERATORIBUS AMERICANIS POPULUS BELGICUS MEMOR 4. VII. MCMXLVI (Le peuple belge se souvient de ses libérateurs américains – 4 juillet 1946)
Le monument fut inauguré le 16 juillet 1950, en présence des plus hautes autorités belges et américaines; des délégations anglaise, française, hollandaise et luxembourgeoise renforçaient le caractère international de l’événement. Les associations de vétérans étaient évidemment du nombre. Sans oublier l’architecte, lauréat d’un concours de projets, Monsieur Georges Dedoyard et l’entrepreneur Monsieur Félicien Calay. Dans les fondations se trouve, scellé, un parchemin signé par différentes personnalités belges et américaines.
L’étoile à cinq branches
Le Mémorial affecte la forme de l’étoile de la Libération, à cinq branches dont chacune mesure 31m de longueur. Le diamètre de l’atrium central est de 20m et s’élève jusqu’à 12m; le sommet de l’édifice est parcouru par une galerie circulaire conduisant aux tables d’orientation, une par branche de l’étoile.
Sur la couronne figurent les noms des 48 États constituant les USA de l’époque. A l’extérieur également, les badges des différentes grandes unités ayant participé à la bataille du Saillant. Sur les parois internes, le déroulement de cette bataille est expliqué en langue anglaise et en dix tableaux.
La crypte dédiée aux héros
Une crypte fut également creusée dans la roche; elle rappelle le sacrifice de 76.890 héros américains tués, blessés ou disparus dans cette bataille.
Trois autels sont consacrés respectivement aux cultes catholique, protestant et juif. Les mosaïques aux couleurs chatoyantes sont de l’artiste français Fernand Léger.
Tout proche, le Bastogne War muséum accueille les visiteurs désireux d’en savoir davantage sur les combats meurtriers qui se déroulèrent en Ardenne durant le terrible hiver 44-45.
En d’autres lieux, on aurait certainement baptisé l’endroit : le Col de la Baraque de Fraiture. Parce que le site culmine à 652 mètres d’altitude, il est ainsi la deuxième “montagne” de Belgique après le plateau des Hautes-fagnes englobant la Baraque Michel et le signal de Botrange.
La « Fagne de Bihain » illustre bien le cadre désolé de l’endroit avant que les routes ne traversent la région.
Il paraitra sans doute prétentieux de parler de montagne, mais il est un fait que la flore naturelle du plateau des Tailles qui entoure le carrefour de la Baraque est comparable aux plantes de montagne, et même de montagne nordique. La linaigrette par exemple qu’on retrouve également en Hautes-Fagnes. Avant l’introduction massive de l’épicéa en Haute Ardenne, le paysage la plupart du temps les pieds dans l’eau et la tête dans le brouillard, se montrait fort inhospitalier. Les landes désertiques couvertes de bruyères, n’étaient parcourues que par les sangliers, quelques loups, les réfractaires fuyants les conscriptions napoléoniennes ou quelques intrépides marchands que leurs affaires obligeaient à passer par là.
En 1838 seulement, les routes se dessinèrent plus précises, de Liège vers Bastogne et de La Roche vers Vielsalm et la Prusse. Un habitant du village de Fraiture – un malin ce Pierre-Antoine Molhan – bâtit au croisement des routes une masure en argile et torchis où ne tardèrent pas à s’arrêter les voyageurs. Le malin Molhan avait bien compris l’importance stratégique de l’endroit ; d’où qu’on vienne, il fallait grimper longtemps pour arriver au croisement, c’était assurément là qu’il fallait offrir boissons et collations aux bêtes comme aux gens. Bien vu Pierre-Antoine !
Molhan fit fortune, aménagea de mieux en mieux sa bicoque de paille pour la transformer en un solide bâtiment en pierres qui résistait sans trop se plaindre au climat de l’endroit. Le bâtiment existe toujours aujourd’hui ; Molhan n’y est plus mais les voyageurs sont toujours soulagés de trouver boissons et bon repas à l’Auberge du Carrefour.
Une vue des nombreuses apparences subies par la Baraque de Molhan. Cette « version » de l’édifice fut détruite durant la guerre 40’/45′
Le Major Parker et la Bataille des Ardennes
Molhan avait pressenti l’importance stratégique du carrefour, il ne fut pas le seul.
Le 19 décembre 1944, cela fait trois jours que l’armée allemande a lancé la contre-attaque. Se repliant de l’Eiffel en passant par Salmchâteau, le major Arthur Parker et la centaine d’hommes qui lui reste passe au Carrefour de la Baraque de Fraiture. Il y a là un incessant balai de transports de troupes et de matériel américains allant dans tous les sens ; ceux qui se replient, ceux qui vont renforcer les positions et certainement, ceux qui ne savent pas où aller. Le carrefour routier est un passage obligé, impossible de le contourner vu l’état impraticable du terrain sur un large périmètre autour du site.
Parker l’a bien compris : c’est aussi par là que les troupes allemandes devront passer. Jusqu’au 23 décembre Parker (qui fut blessé) et ses hommes tiendront tête aux Panzers allemands. Ils retarderont considérablement la percée nazie.
En 1994 un monument fut inauguré à la mémoire du courage de la troupe « Parker ». Un canon Howitzer 105 mm identique à ceux dont disposait Parker fut amené des Etats-Unis. Pour les américains, le carrefour de la Baraque est connu sous le nom de Carrefour Parker.
Le canon Howitzer datant de 1941. L’aire du Souvenir sur laquelle il prend place est dédiée « aux Etats-Unis d’Amérique et à ses valeureux combattants », comme le dit la plaque commémorative.
Promenades et ski
Un bel enneigement permet la pratique du ski de fond, mais aussi du ski alpin et de la luge
Plusieurs établissements, offrant un large choix de restauration, sont venus s’ajouter depuis à l’Auberge du Carrefour dont l’enseigne voisine avec des aménagements dignes d’une fréquentation croissante.
L’or blanc n’y est pas étranger. Chaque années des milliers de visiteurs fréquentent les pistes de ski alpin qui, longues de 300, 700 et 1.000 mètres, sont équipées de remonte-pentes, éclairées à la nuit tombée, et complétées par une piste de luge. L’enneigement voulu y règne en moyenne 20 jours par an, et bien davantage pour les skieurs de fond qui trouveront sans peine des pistes balisées dans toute la région. Une autre piste de ski alpin est également accessible à Lierneux.
Qu’il neige ou qu’il fasse plein soleil, la Baraque de Fraiture constitue un point de départ idéal pour rayonner à-travers une région qui fait la part belle au tourisme familial. Des animations les plus connues aux vallées les plus secrètes, rien n’est jamais bien loin de ce carrefour qui ne ressemble à aucun autre.
Un site en altitude offre évidemment des points de vue d’une très grande beauté,… par temps clair.
Sources : Vieilles images sur toits de cherbins – Robert Nizet – 1986
Le CRIBA – Centre de Recherches et d’Informations sur la Bataille des Ardennes – www.criba.be
Les travaux dans les champs du petit village de Thin le Moutier dans les Ardennes françaises en 1960.Archives des films 16mm de René Raulet sur les labours,la fenaison,la moisson et la récolte des pommes de terre.
Trévire, ou gallo-romaine ? La moissonneuse décrite par Pline l’Ancien, au premier siècle, conserve bon nombre de ses secrets. Une reproduction, fonctionnelle, en est visible à la ferme gallo-romaine de Malagne.
Pline l’Ancien, au première siècle, évoque l’outil dans son “Histoire naturelle” : “Dans les vastes domaines des Gaules, une grande caisse dont le bord est armé de dents et que portent deux roues, est conduite dans un champ de blé par un boeuf qui la pousse devant lui : les épis arrachés par les dents tombent dans la caisse.” Palladius, trois siècles plus tard, voit fonctionner le vallus décrit par Pline l’ancien : “Le bouvier, qui suit par derrière, dirige la marche du chariot en l’élevant ou en l’abaissant suivant le cas”. On en retrouve les traces épigraphiques à Trèves, Arlon, Coblence et Reims.
La moissonneuse reconstituée est visible en action à l’Archéoparc de Malagne, près de Rochefort.
Mais la découverte déterminante est faite par J. Mertens, en 1958, sur le site de Montauban (Buzenol). C’est elle qui permet d’établir la corrélation entre les textes et un autre bloc sculpté, découvert à Arlon en 1854, qui représente la partie arrière du dispositif.
Bloc calcaire sculpté découvert – et toujours présent – à Montauban. www.museesgaumais.be
D’autres renseignements ont été obtenus depuis, grâce au moulage d’une pièce d’époque, découverte en Allemagne.
ÇA MARCHE !
Quoi qu’il en soit, à force d’essais, l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et la ferme gallo-romaine de Malagne (Rochefort) sont parvenues à réaliser une reconstitution de la moissonneuse trévire. Et ça marche : “L’âne est placé entre les brancards, la tête tournée vers la caisse. Le jouguet, placé sur son encolure, est attaché aux brancards au moyen de cordes. Lors du travail, le conducteur se tient à l’arrière et, outre son rôle de contrepoids, dirige la moissonneuse vers la droite, la gauche, le haut ou le bas. Un conpulsor, placé à l’avant, pousse, à l’aide d’un outil au long manche, les épis qui viennent engorger le peigne. Cette moissonneuse ne fonctionne qu’avec des céréales cassantes comme l’épeautre ou l’amidonnier. Les épis viennent se loger dans les fentes qui prolongent les dents. Ils se brisent à la base et tombent dans le bac de récupération. L’ouvrier devra effectuer un aller et un retour sur une même bande afin de ramasser les épis versés à contresens. Un récolte régulière est rapide, très efficace et ne laisse que peu d’épis sur le terrain”. La première moissonneuse sort de la nuit des temps. Et un pan de notre culture avec elle.
Le troisième dimanche avant pâques, se déroule un des principaux rendez-vous du folklore ardennais : la laetare de Stavelot (on peut dire le laetare).
Un grand cortège haut en couleurs parcourt les rues de la localité au milieu des visiteurs enthousistes. Les rois de la fête sont sans conteste, les Blancs Moussis; personnages mystérieux, tout de blanc vêtus, portant un masque hilare au long nez rouge, qui vont et viennent, grognent, sautillent, lancent des confettis et taquinent la foule avec des vessies de porc gonflées.
Les Blancs Moussis (c’est du wallon, cela se traduit plus ou moins par : ceux habillés en blanc), sont apparus en 1502 en réaction à un interdit du Prince Abbé de la Principauté de Stavelot-Malmedy d’interdire aux religieux de se mêler aux réjouissances populaires. La foule choisit alors de revêtir des habits imitant ceux des moines pour remplacer leur absence forcée. Après de nouvelles interdictions des autorités religieuses, l’habit blanc remplaça le capuchon monastique etse compéta d’un long nez rouge en signe de dérision.
Chant du Laetare de Stavelot – Musique de Raymond Micha – L’Orphée de Stavelot dir. Albert Van Lancker – Photos Pierre-Alexandre Massotte – Montage André Micha
La photo d’entête de l’article est de Pierre-Yves Sougne
Restauration d’un toit en chèrbins à la ferme de Filly – Vidéo
Le chèrbin, prononcé hèrbin en Ardenne liégeoise et dont le nom signifie « éclat » en allemand (« scherben »), est une pièce d’ardoise en forme d’écaille asymétrique dont la découpe implique une pose particulière : toujours entamée en bas de versant sur la droite, elle gravit la toiture en diagonales parallèles jusqu’au faîte sur la gauche en recouvrements progressifs, tout en diminuant la taille des chèrbins et du pureau (partie non recouverte de l’ardoise). Le chèrbin présente une courbure à son point inférieur, de manière à conduire l’eau du haut vers le bas.
Un film de l’asbl Cultura Europa en 1996
Durée : 8.43 mn.
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Un long documentaire sur la bataille des Ardennes que les Ardennais nomment plus volontiers l'”Offensive”.
De nombreux interviews de vétérans américains, le tout traduit en français.
Durant l’un des hivers les plus rudes jamais connus, plusieurs divisions d’infanterie américaines, prises par surprise et mal armées, livrent une bataille épique contre l’armée allemande dans la campagne des Ardennes.
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Le goût de l’écorce
Un poético-documentaire de Martin Dellicour
Martin Dellicour et son équipe nous emmènent chez Joost, aux sources de l’Ourthe, pour un somptueux film au cœur de l’Ardenne. Dix minutes (et quelques…) d’immersion totale là où vivent Joost et ses voisins : les blaireaux, castors, bernaches, chevreuils et renards. Ils partagent la forêt et la rivière en bonne entente. Les surprenantes images de castors ont demandé plus de quarante heures de « planque » au bord de l’eau. Avec ce poético-documentaire, Martin Dellicour entame une série qui nous conduira à la rencontre d’artistes et artisans qui puisent leur énergie et leur créativité dans la vie sauvage et les paysages de l’Ardenne.
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Le goût de l’écorce : Avec Joost Vanvoorden | Réalisation : Martin Dellicour | Image & son : Anne Leidgens, Martin Dellicour | Musique : The Deranged Pinguins (Reprise de Timber Timbre), Tenacious Orchestra
Patrick Lebecque et Etienne Bauvir Editions Weyrich
Errances est un livre de photographie animalière et de réflexion sur la nature.
Lire
Martin le pêcheur
Etienne Lenoir _ Editions Weyrich
Étienne Lenoir s’est lancé à la poursuite de cet oiseau singulier, presque rare. Le photographe passionné qui s’est installé en bord de Semois nous offre une véritable découverte du martin-pêcheur.
Lire
Le temps du brame
Jean-Luc Duvivier de Fortemps et Jean-Claude Servais Editions Weyrich
Partout autour de nous, le monde bouge, s’agite, change. Et pourtant, là-bas, au plus secret de la forêt...
Bataille des Ardennes – Le cimetière allemand de Recogne
Depuis 1947, les corps de 6.807 soldats allemands reposent par groupes de six, sous de rustiques croix de petit granit, à Recogne. Avec Lommel (Léopoldsburg) c’est la plus grande nécropole du genre en Belgique.
Le bloc de granit gravé à l’entrée du cimetière
Décembre 44 : Hitler lance l’offensive “Wacht am Rhein”, qui va déboucher sur l’un des plus grands carnages de la seconde guerre mondiale du XXème siècle, sur le front occidental. Les pertes humaines, de chaque côté, dépassent celles enregistrées durant le débarquement en Normandie. Actuellement, on cite les chiffres, côté américain à 8.607 tués, 21.144 disparus et 47.139 blessés ; côté allemand à 17.236 tués, 16.000 disparus et 34.439 blessés. Sans commentaire.
La chapelle accueille les visiteurs.
Le service d’inhumation américain aménage un cimetière de regroupement situé de part et d’autre de la route de Noville. On y enterre, séparément, 2.700 soldats américains et 3.000 allemands.
Durant les années 46 / 47, les morts américains sont transférés à Henri-Chapelle, tandis que les services d’inhumation belges réunissent les allemands à Recogne. Aux 3.000 du départ vont se joindre les soldats tués dans d’autres endroits de la province de Luxembourg, du sud de la province de Liège et des Cantons de l’Est. Y reposent également les dépouilles de militaires tués dès le début de la guerre, et l’occupation.
Réconciliation par-dessus les tombes
En 1956, un camp de jeunesse international fut organisé. Son thème : “Réconciliation par-dessus les tombes”. Ces jeunes, venus de six nations, aidèrent à l’aménagement du cimetière et à la construction du mur d’enceinte, en grès rose de l’Eifel. Le 25 septembre 1960, le cimetière fut officiellement inauguré.
Sous chaque croix, gravée recto/verso, reposent six dépouilles de soldats. Beaucoup n’ont pu être identifiés.
Sous chaque stèle de petit granit, gravée recto-verso, reposent six corps, dont certains n’ont jamais pu être identifiés. Aucune distinction de grade : officiers et soldats sont ici réunis dans la mort.
D’une même sobriété, une chapelle a été élevée, dont les murs sont décorés de bas-reliefs : l’un représentant st Michel portant la balance, et l’archange Gabriel portant la lumière.
On pourrait gloser à l’infini sur les tenants et les aboutissants de cette tuerie qui, sous des dehors idéologiques, a bel et bien constitué un exploit de plus à mettre au crédit d’une certaine forme d’économie. Foutaises, que le reste ! Fables tragiques avalées par les peuples pour justifier, et commettre, l’injustifiable. Et les archives auront beau faire, révélant le cynisme sous-jacent des assassins aux mains blanches : l’humain, on peut le craindre, ne comprendra jamais.
Mais la paix de ce cimetière. Mais la lumière rasante qui joue sur les stèles. Un jour, peut-être…
Outre les innombrables destructions et morts dues aux tirs d’artillerie et aux bombardements aériens, tant alliés qu’allemands, nombre de massacres furent commis durant l’offensive Von Rundstedt.
Leur liste s’égrène comme un chapelet : Baugnez, Bourcy, Noville, Wibrin, Stavelot, Bande, Steinbach …
Fait de troupes fanatisées, ivres de vengeance ou conscientes de l’inexorable échec du ” Reich millénaire “, ces massacres constituent un douloureux martyrologe ardennais.
La 1ere SS Panzer Division (LAH) commit de nombreux crimes de guerre lors de sa percée au Nord du saillant.
Celui de Baugnez, sur les hauteurs de Malmédy, est sans doute le plus connu : quatre-vingt-six GI’s y furent assassinés, dans une prairie située à l’angle des routes de Waimes et de Ligneuville.
La raison en demeure incertaine.
Les faits
Le 17 décembre 44, le 285eme bataillon d’observation d’artillerie de campagne US, aux ordres du lieutenant Lary arrive à Malmédy. Averti de la présence de blindés allemands à Bullange, celui-ci décide néanmoins de suivre la route qui lui a été assignée ; et l’unité s’engage sur la N 23.
Elle arrive au carrefour de Baugnez au moment même où une avant garde de la colonne Peiper y parvient.
Un violent engagement s’ensuit, et les véhicules sont bousculés par les blindés allemands de tête, qui poursuivent leur route. Mais le reste de la colonne est là, et Lary comprend que la situation de sa troupe est désespérée. Il décide de se rendre.
Le commandant Poetshke, qui est laissé avec les prisonniers, distrait deux Panzers de la colonne. Soptrott, commandant l’un des deux blindés, aurait alors reçu l’ordre d’ouvrir le feu. En tout cas, son canonnier, le soldat Fleps, abat le chauffeur du lieutenant Lary d’un coup de pistolet, puis les mitrailleuses des chars entrent en action. Des pionniers du génie allemand, de jeunes recrues, entrent ensuite dans le champ pour achever les survivants.
Baugnez (source USArmy) : Enfouis sous la neige, les corps des soldats assassinés à Baugnez ne seront inhumés qu’une fois le carrefour repris par les alliés, un mois après les faits ; et le travail d’une commission d’enquête effectué.
La prairie Sacrée
On dégagera plus de 80 corps de la neige
Volonté délibérée ? Effet d’entraînement, après le coup de feu de Fleps ? Que s’est-il passé, à Baugnez ? Les historiens eux-même s’y perdent. Restent les faits. Sans excuse.
Le procès de ce massacre eut lieu à Dachau en 1946, et Jochen Peiper fut condamné à mort. Il est prouvé aujourd’hui qu’il ne se trouvait pas à Baugnez au moment des faits.
La prairie abreuvée par le sang des malheureux fut longtemps laissée à l’abandon. Enfant, nous passions régulièrement à cet endroit, dont nos parents nous avaient maintes fois raconté l’histoire.
Elle était devenue sacrée, à nos yeux, et l’est restée.
Un zoning artisanal est à présent établi derrière le monument commémoratif. Reste un souvenir tenace.
Un long chemin d’horreur
Mais les massacres ne se limitèrent pas à celui de GI’s désarmés. Les civils payèrent également un lourd tribut à la folie meurtrière des SS les plus fanatiques, dans le secteur.
La liste n’est pas exhaustive : sur la route, entre Stavelot et Trois-Ponts, vingt personnes – hommes, femmes et enfants – sont abattues. Vingt-quatre, à Parfondruy, dont deux femmes enceintes. A Reharmont, une douzaine de civils trouve la mort.
Plus loin, sur la route de Coo, les nazis abattent encore une vingtaine de personnes.
Un long chemin d’horreur, dont toute l’atrocité nous a sauté au visage, par delà l’espace et le temps, lors d’un reportage dans la Bosnie ravagée.
Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Stavelot, cité martyre. Quelles que puissent être les circonstances, rien n’excusera, jamais, les massacres commis au nom d’une idéologie. Quelle qu’elle soit.
Peiper
La condamnation à mort de Jochen Peiper fut commuée, le 30 janvier 1951, en détention à perpétuité. Le 22 décembre 1956, il était libéré sur parole jusqu’au 21 juin 1958, date à laquelle cette mesure prit fin. Le 14 juillet 1978, celui qui n’a jamais renié son attachement au nazisme était assassiné à Tarves (France) et sa maison incendiée.
Ecrit par le major anglais Reynolds, le livre ” L’adjudant du diable ” (De krijger – 2000 – ISBN 90-72547-97-7) retrace le parcours de Peiper, tout particulièrement lors de l’offensive. Ce livre, particulièrement fouillé, en dira plus au lecteur intéressé.
Virgil Lary mourut d’un cancer, en 1981. Dans une lettre à un ami, il confiait que, de toute manière, il était déjà mort dans le champ de Baugnez, en 1944.
Textes : Patrick Germain | Crédit(s) photographique(s):US NARA
Liens intéressants
Sur les archives audiovisuelles de la Sonuma
Aux Etats-Unis, Baugnez est l’épisode le plus tristement célèbre de la Bataille des Ardennes : le 17 décembre 1944, un convoi de l’artillerie US est arrêté par la colonne allemande de Joachim Peiper. Faits prisonniers, les GI sont brutalement fusillés par les SS. Ce crime de guerre coûte la vie à 84 soldats. Mais que s’est-il réellement passé au carrefour de Baugnez? L’Américain George Fox, vétéran de la 285ème artillerie miraculeusement rescapé du massacre, et l’Allemand Rolf Ehrhardt, vétéran de la 1ère Panzer SS, donnent chacun leur version des faits.
Sur Youtube
Des interviews (en anglais) de vétérans qui ont connu cet épisode dramatique. Quelques images d’archive des faits sont mixées, probablement, avec des images de propagande. Les films de propagande étaient très utilisés, tant dans le camps US que dans le camp Allemand.
Rendons une visite – distante – à Sa Majesté le cerf au moment où il fait trembler la forêt d’Ardenne au rythme d’une fête sauvage dont les échos venus du fond des âges réveillent, même chez l’homo internetus, d’étranges sensations.
“ La fièvre l’a saisi à l’improviste, un soir de septembre (…) il a senti l’odeur des biches, et l’impétueux instinct a soudain transformé son comportement. D’abord, il a apaisé sa nervosité avec de furieux coups de tête sur le premier arbuste qu’il a rencontré en quittant sa reposée (…) puis, il s’est brusquement retourné, a vu son compagnon habituel marcher sur ses talons. Pendant un long moment, il l’a toisé d’un regard dont toute aménité était absente. Voila que, subitement, cette présence, pourtant appréciée pendant tout l’été, lui était devenue insupportable „
Ils se toisent
En quelques lignes, Roger Herman (1) vient de brosser le portrait psychologique du premier rôle de ce qui constitue sans doute l’événement le plus impressionnant de l’année ardennaise : au sombre des forêts le brame peut commencer ; drame épique dont les échos se répercutent depuis le fond des âges avec une même force brute, chargé d’émotions contradictoires auxquelles nul ne peut échapper en ses intimes
Sinon, comment expliquer cette mystérieuse pulsion qui, quelques semaines durant, va faire affluer vers l’Ardenne et ses forêts plusieurs milliers de personnes de tous âges et de tous sexes ? Comment expliquer que le plus blasé des coureurs de bois ne peut rester indifférent à ce qui, somme toute, ne constitue qu’un instant de l’année parmi d’autres sans cesse renouvelés? Car, au fond, le brame n’est jamais que le rut du cerf. Notre plus grand mammifère sauvage, certes, et le plus expressif en la matière sans doute, mais encore ?
LE BRAME : MODE D’EMPLOI
En voilà des manières !
Pour ce qui concerne les faits, le brame correspond à une période allant grosso modo du début septembre à la fin octobre, durant laquelle les cerfs en majesté rejoignent les hardes de biches en vue de s’accoupler. Le reste du temps, ils vivent seuls, ou en petits groupes.
D’un tempérament généralement flemmard, le cerf titillé par ses hormones devient alors un personnage irascible qu’il est très fortement déconseillé de rencontrer au détour d’un taillis sans avoir pris rendez-vous : quand quelque 150 à 200 kilos d’os et de muscles pour un mètre cinquante au garrot, surmontés d’une tête de furieux pourvue de bois redoutables quel que soit le nombre de leurs andouillers, décident de vous faire part de leur plus vif mécontentement, ça craint, croyez-m’en ! (voir anecdote)
Lorsque vous assistez à une telle scène, il y a vraiment intérêt à rester à distance.
Bref, restez prudemment en-dehors du coup, laissant à ces messieurs le soin de s’expliquer en comité restreint. Un rituel immuable qui débute par un stade d’observation durant lequel les seigneurs en présence vont se jauger, avant de fuir ou de se rentrer littéralement dans le lard, entrechoquant leurs bois avec une violence inouïe car le combat ne mettra jamais en lice que des adversaires de puissances similaires. Il peut durer plus ou moins longtemps, selon la vigueur des cerfs aux prises et/ou la gravité des blessures reçues. Quelquefois, tous deux mourront d’épuisement, le bois inextricablement entremêlés. Tout qui, même à distance, a pu entendre le choc des ramures, peut se faire une idée de la sauvagerie de l’affrontement.
Les grondements dans la forêt.
Les grondements rauques qui résonnent alors dans la forêt constituent à la fois une manière de revendiquer le territoire avec les femelles qui s’y trouvent, et de provocation envers les rivaux potentiels. Avec un peu d’oreille et de pratique, il est possible de les bien imiter à l’aide du verre d’une ancienne lampe à pétrole. Mais ne venez pas vous plaindre ensuite si vous vous retrouvez contraint de passer la nuit dans un arbre
Le repos du seigneur
Ceci dit, vous y auriez tout le temps de compatir au sort du Seigneur de nos forêts qui, non content d’en prendre plein les ganaches pour conquérir son harem est ensuite contraint de veiller doublement au grain. Premièrement parce que les biches ne sont – individuellement – réceptives qu’une seule journée par an ; et deuxièmement parce que les cerfs plus jeunes, qui ont assisté de loin au choc des Titans, ne se privent pas de leur faire à l’occasion un (en)faon dans le dos.
LE GRAND CORNU
Voilà qui nous dresse le portrait d’un animal “ solaire „ brillant lors du brame d’un feu “ fixe „ qui, comme tous ceux de son espèce, peut à la fois être générant et destructeur dans un même élan. D’un animal qui impose le respect par sa stature et son allure, tout en représentant à bien des égards une puissante métaphore de la vie. De là à en faire un dieu il n’y a qu’un pas.
Cernunos : la divinité
Franchi depuis plusieurs millénaires, les meilleures sources s’entendant pour prêter à la divinité celtique Cernunos une antériorité historique qui en fait sans doute, avec les divers avatars de la Terre-mère, l’une des plus anciennes du Panthéon occidental. Tout ceci pourrait n’être malgré tout que pure spéculation si Cernunos, avec quelques autres comme Épona, n’avait par ailleurs fait l’objet d’une christianisation insistante dont la figure la plus célèbre est sans conteste le cerf de saint Hubert. Et ça, c’est un indice de taille. Quant à savoir s’il existe un lien entre le brame et le sabbat qui, avec ses bacchanales, ne serait que l’avatar dévoyé de rituels plus anciens, c’est une autre histoire. Reste qu’il existe de troublantes similitudes.
À titre purement personnel, mes affinités électives iraient plutôt dans le sens de la vision que Jean-Claude Servais a donné du brame au mois de septembre (2) de son “ Almanach „. Très émouvant.
Jean-Claude Servais : “L’Almanach” – Septembre / Adrien
Alors, au bout du compte, trouvez donc votre chemin vous-mêmes dans l’infinité de lectures possibles qu’offre un symbole. Laissez-vous imprégner par l’ambiance du brame en commençant par les odeurs et le climat de la forêt d’Ardenne à l’automne ; montez en puissance avec le cerf en ne négligeant aucune sensation, fut-elle dérangeante pour la morale du temps, car nul ne connaît la lumière s’il n’a affronté l’ombre. Que chaque froissement, chaque odeur, chaque cri, chaque choc rapporté par l’écho, pénètre en vous jusqu’à en devenir intime. Vous fasse prendre conscience de votre unité avec le tout. Il se peut bien qu’alors des choses surprenantes se produisent en vous et autour de vous. Attentifs, Pèlerins, soyez attentifs.
AU CERF, LA BIÈRE !
Bien-sûr, tout ceci suppose idéalement que vous ayez le bonheur de découvrir le brame seul, ou en compagnie d’un familier de la forêt qui saura vous guider et, le cas échéant, vous protéger. Car on ne martèlera jamais assez, tout particulièrement à cette époque, le vieil adage de vénerie : “ au sanglier, le mire (médecin) ; au cerf, la bière (rien à voir avec le houblon) „ !
À défaut, il vaudra donc mille fois mieux rejoindre l’un des nombreux groupes de naturalistes qui organisent des soirées “ brame „ voire l’un des lieux de concentration tolérés par la DNF, que prendre des risques inutiles : l’instant recèlera de toute manière sa part d’intense magie.
________________________________________ Texte Patrick Germain / 2007 Crédit(s) iconographiques :Jean-Claude Servais Photos : Daniel Pigeon Voir la page Facebook de Daniel ________________________________________
Anecdote
Je dois au maître-traqueur José Léonard l’une des trouilles de ma vie lorsqu’un jour de battue en Hertogenwald il me chargea de “ rester pour retenir les chiens „ au sortir d’une clôture à gibier mal fermée dans laquelle il rentra en prononçant le “ on ne sait jamais… „ annonciateur des grands désastres. Quelques instants plus tard, au terme d’une fantasia de branches brisées, de cris et d’aboiements furieux, je me retrouvai nez à nez avec un cerf dont la seule chose que je puisse dire est qu’il était de très méchante humeur et qu’il me laissa juste le temps de me jeter à plat ventre dans un fossé dont je sortis ensuite couvert de boue et d’une verdure poisseuse qui seyait à merveille à mon teint du moment. C’était, me dit-on, un “ beau douze „ et j’avais tenu mon poste jusqu’à l’extrême limite : l’honneur était sauf. C’est fou ce qu’on vous observe, en forêt, dans ces instants de pur hasard…
Source : • (1) “ Bêtes sauvages d’Ardenne „ – Roger Herman – Paul Legrain éd. 1976 • (2) “ L’Almanach „ – Jean-Claude Servais – Casterman 1988 – ISBN 2-203-38009-8 • “ Les Celtes „ – Collectif – EDDL Paris éd. 2001 – ISBN 2-23700-484-6 et “ Chasse – Pêche „ – Cours technique secondaire de l’IPEAFP La Reid 1975
L’Ardenne regorge de sites jadis occupés par les Celtes aux différentes époques. Nombre d’entre eux restent sans doute à découvrir. Ce n’est pas le cas du Cheslé, à Bérismenil (La Roche en Ardenne), l’une des forteresses les plus vastes de la Belgique actuelle.
Texte : Patrick Germain 2007 Photos : Fr. Rion 2016
L’accès au Cheslé nous fait emprunter ce chemin forestier taillé dans le schiste.
Au départ de l’église de Bérismenil, c’est à une remontée dans le temps que nous convient les Celtes, et, surtout, les archéologues: à quelques deux kilomètres de là se trouvent les vestiges de l’une des plus vastes enceintes fortifiées d’origine celtique recensées dans la Belgique actuelle. Porté sur la carte Ferraris en 1777, reconnu en 1867 par Sulbout, le Cheslé – vocable dérivé de “châtelet” ou “château” – a fait l’objet de nombreuses campagnes de fouilles, depuis 1905 (Loë). Le site, sur lequel les recherches se poursuivent, a livré un matériel archéologique varié, dont la datation de certaines pièces au carbone 14 fait remonter la première occupation aux alentours de 519 avant notre ère. Au premier âge du Fer, donc, ou Hallstatt. Elle est donc antérieure d’au moins 400 ans aux écrits de César, sur lesquels nous reviendrons plus loin.
Situation topographique et stratégique
Au fond de la vallée, l’Ourthe coule…, pas toujours paisiblement.
Le Cheslé est juché au sommet d’un éperon rocheux étranglé, en aval du Hérou. Les versants y sont raides, avec des dénivelées de l’ordre de 70 mètres. Il s’agit donc d’un site isolé, mais qui n’occupe pas une position prédominante : son sommet est situé sous l’altitude du plateau ardennais, qui l’entoure. Le contrôle qu’il a pu exercer, s’étonne-t-on parfois, n’a dès lors pu s’exercer que sur les versants du méandre, et sur le “gué des Haches”. C’est faire peu de cas de l’importance stratégique de l’Ourthe, et de cet endroit en particulier. Quelles que puissent avoir été les qualités – avérées – des voies celtiques majeures, à la mauvaise saison les routes d’Ardenne deviennent généralement impraticables. C’est une des raisons qui peuvent expliquer l’utilisation de l’Ourthe, pourtant tortueuse et dangereuse, comme voie de communication. Et d’invasion.
Disposition, architecture
Les fortifications réhabilitées s’étendent sur deux sites. Ici, la « porte » sur le versant le plus accessible.
Le rempart est long de 1700 mètres, et ceint quelque 13 hectares de terrain rocheux En 1997, sous la houlette du professeur Bonenfant, de l’Université libre de Bruxelles, le site fait l’objet de fouilles. Dans sa publication, le scientifique mentionne que : “Le réexamen d’une coupe stratigraphique a monté trois états : une petite construction limitée à un chemin de ronde palissadé, dominant la longue pente dévalant à 45° vers l’Ourthe ; une construction plus élevée, bâtie en pierre et bois, formée d’une maçonnerie de moellons bruts assemblés à sec, raidie par des poteaux en façade et des traversines engagées dans l’œuvre ; en troisième lieu, une construction plus importante, mais de même style (…). Ces trois états s’étagent de bas en haut, ce qui paraît bien correspondre à leur ordre chronologique relatif.”
De la « porte », on peut néanmoins surveiller l’Ourthe. Au fond, l’île du Meunier.
Un type de construction étendu à une grande partie du territoire celtique, et qui semble n’avoir guère du subir de modifications puisque, dans le livre VII, chapitre 23 de sa “Guerre des Gaules”, César écrit : “Telle est à peu près la forme des murailles dans toute la Gaule: à la distance régulière de deux pieds, on pose sur leur longueur des poutres d’une seule pièce ; on les assujettit intérieurement entre elles, et on les revêt de terre foulée. Sur le devant, on garnit de grosses pierres les intervalles dont nous avons parlé. Ce rang ainsi disposé et bien lié, on en met un second en conservant le même espace, de manière que les poutres ne se touchent pas, mais que, dans la construction, elles se tiennent à une distance uniforme, un rang de pierres entre chacune. Tout l’ouvrage se continue ainsi, jusqu’à ce que le mur ait atteint la hauteur convenable. Non seulement une telle construction, formée de rangs alternatifs de poutres et de pierres, n’est point, à cause de cette variété même, désagréable à l’oeil ; mais elle est encore d’une grande utilité pour la défense et la sûreté des villes ; car la pierre protège le mur contre l’incendie, et le bois contre le bélier ; et on ne peut renverser ni même entamer un enchaînement de poutres de quarante pieds de long, la plupart liées ensemble dans l’intérieur.”
Restauration, fouilles
Le rempart principal, le premier a avoir été restauré. Au pied de ce talus, caché par les fougères, un fossé ralentit d’autant plus la progression des agresseurs.
La construction volontairement inachevée illustre bien la technique. Un squelette de poutres entrecroisées traversant l’épaisseur des murs de pierre et de terre. Indestructible.
Une reconstitution, accessible au public, de l’ouvrage a été réalisée par la Société nationale des fouilles. L’effet est à la fois didactique et saisissant. Les photos utilisées dans cet article et dans la galerie d’images ci-dessous en témoignent à suffisance.
Légende et méditation
Est-ce ce rocher ou un autre qui dissimule le repaire de la Gatte d’Or.
Un puits, dit la légende locale, se trouverait au centre de la forteresse. Gardé par une chèvre d’or, un trésor y sommeillerait, prêt à se livrer à celui qui, durant l’élévation de la messe de minuit – à Noël donc – offrira une poule noire, et ne profèrera aucune parole. Faute de quoi, le coffre contenant le trésor se transformera en une bête gluante, dont les yeux lancent des éclairs qui pulvérisent l’imprudent.
La légende est, tous les amateurs de ce genre de récit l’auront noté, de facture classique. Tout comme est classique, à proximité de ruines, la présence des Elfes. Les dieux ne meurent pas: ils se transforment. Pour nous, cette visite aura surtout été l’occasion de retrouver des sensations ancrées tout au fond d’une mémoire plurielle qui ne manque jamais au rendez-vous, sur de tels sites. Qui ? Quoi ? Comment ? Tout ça importe peu, et nous appartient. Reste que de tels lieux, chargés d’histoire et d’émotions, parlent à qui les veut écouter. Témoignent d’un passé qui fut nôtre et que, pour autant de raisons, l’Histoire de Belgique et d’ailleurs a longtemps – et sciemment – occulté. De nouvelles générations de chercheurs et d’historiens ont succédé aux Pirenne et consorts : puissent-ils être remerciés pour un travail que la topographie ardennaise ne simplifie pas ; comme ne les simplifient pas certaines difficultés d’un tout autre ordre – humaines, en l’occurrence – de moins en moins opérantes, il est vrai.
Puisse, par ce biais et par d’autres, l’Ardenne retrouver ses racines profondes. Tel est notre souhait, et, sans doute, celui de ceux qui, invisibles, poursuivent leurs vies dans le Sidh. Ambiorix, par exemple, qui a peut-être fréquenté les lieux ?
________________________________________ Source : • Collectif : « Province de Luxembourg : Le pays des roches et des méandres » – Maisons du tourisme et SI