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L’or en Ardenne

27 Avr, 16 | histoire

Au cours du XIXème siècle, des milliers de tertres jalonnaient les rives des maints ruisseaux de la haute Amblève, sans que personne ne puisse expliquer clairement leur origine mystérieuse. En 1841, le savant curé de Daleiden M. Bormann suggérait l’idée que tous ces chapelets de monticules représentaient les ruines d’une ligne défensive contre les invasions. Vingt-cinq ans plus tard, le médecin-historien Dr A. Hecking y voyait plutôt l’image d’une nécropole antique qui s’étendait, le long des cours d’eau, de Waimes à St-Vith. Enfin en 1880, le Dr. Q. Esser, inspecteur de l’enseignement au canton de Malmédy, mais aussi toponymiste-archéologue de renom, posait un premier jalon véridique.

 

 

Sur les lieux, sa trouvaille d’un fer à cheval exigu, d’époque celtique, autorisait le rapprochement avec les innombrables tas de déblais: les Celtes étaient les auteurs vraisemblables de l’orpaillage colossal du bassin de la haute Amblève, car les tertres s’avéraient être des Haldes! Les révélations savantes, même étonnantes, avaient alors une portée qui se limitait aux érudits de la région. Quant aux gens du cru, ces monticules qu’ils dénommaient «Hugelchen» s’intégraient à ce point dans le paysage, depuis la nuit des temps, qu’ils ne se posaient guère de questions sur leur origine. Alors que le Dr. Q Esser s’évertuait en vain à convaincre ses concitoyens, un prospecteur nommé Julius Jung, de passage à Montenau, avait discerné depuis 1875 la nature de ces tertres insolites, amassés le long des berges de l’Amblève et de ses vifs tributaires qui devaient en contrebas du Wolfsbusch. Gardant le secret de sa découverte à son profit personnel, «l’homme du terrain» n’avait eu qu’à se servir de sa batée pour prouver prosaïquement qu’il y avait de l’or en Ardenne-Eifel…

Julius Jung réapparaîtra à Montenau vingt ans plus tard, en 1895. Il était alors épaulé par son fils Friedrich, avec qui il déclenchera une «mini-ruée vers l’or» qui s’éteindra vers 1910. L’ensemble des contrées surnommées Wallonie malmédienne, Hoes Venn et Zwischen Venn und Schneifel garde le souvenir de cette saga eifeloise qui défraya la chronique locale en son temps, car elle avait éveillé la curiosité populaire, des recherches d’historiens du pays, des avis d’ingénieurs-géologues pour lesquels le sous-sol «métamorphique» de la région de Vielsalm, alors frontalière, semblait avoir livré tous ses secrets… mais encore l’étonnement des naturalistes qui comprenaient enfin la réelle signification de ces élévations artificielles le long des cours d’eau.

 

 

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F.Jung, M.Hertkamp et J. Paquay

Au début de notre XXème siècle

Sur la lancée des articles de presse et des avis scientifiques qu’avaient provoqués les déclarations spéculatives des Jung («Le filon d’or venant des environs de St-Vith se prolongerait au-delà de Poteau en territoire belge»!), le vénérable abbé Joseph Bastin présentait en 1911, au Congrès archéologique de Malines, un mémoire intitulé Anciennes mines d’or dans l’Ardenne septentrionale qui apparaîtra comme un raisonnement historique d’exception. En vingt courtes pages et sans possibilité de recourir à l’histoire restée muette pendant vingt siècles, ce document ne cessera d’étonner par sa prémonition insigne. «Des millions de tonnes de gravier ont changé la face de nos vallées sur une étendue de cent cinquante kilomètres carrés, sans attirer l’attention des historiens… Je crois pouvoir les reporter hardiment aux temps les plus reculés et les attribuer aux Gallo-Belges, aux Celtes. Cette hypothèse, certes osée, se vérifiera en 1979-80 grâce aux mesures de la radioactivité résiduelle relevées sur des tertres conservés dans nos réserves naturelles. Et comme s’il pressentait leur destruction progressive, inhérente au genre de vie dit moderne, l’abbé Bastin terminera sa construction historique par: «Les monticules eux-mêmes acquièrent l’importance de monuments archéologiques et méritent le respect à l’égal des tumulus de l’antiquité». Un raisonnement dont personne ne mésestimerait la sagesse, à l’aube du troisième millénaire!

Au fil du temps

Dès les années qui précédèrent la Guerre 1914-1918, des publications savantes vérifièrent peu à peu les vues prémonitoires de l’abbé-académicien. Les collections de haldes se limitaient pas à la haute Amblève, mais se rencontraient entre Faymonville et la Baraque de Fraiture. Si l’on pointe sur une carte de l’Ardenne septentrionale les sites, haldes et trouvailles d’or mentionnés depuis le début du siècle, on remarque combien l’ensemble de trois zones aurifères affecte la forme d’une bande étroite qui s’étend du nord-est au sud-ouest. Des environs du lac de Butgenbach, elle passe par la Warchenne, la haute Amblève et la haute Salm, pour se prolonger jusqu’à la Réserve naturelle domaniale du plateau des Tailles. L’exploitation globale de cette «étendue de cent cinquante kilomètres carrés» fut sans doute l’œuvre d’une colonie celtique dite «orientale», dont les vestiges (places fortes, tombelles, meules d’arkose), datés au Carbone-14, montrèrent que cette zone d’habitat était contemporaine des exploitations aurifères proches. Cette occupation remonte à l‘époque de La Tène. La situation d’une autre colonie celtique dite «occidentale» (Neufchâteau) autorise un rapprochement semblable: zone d’habitat et haldes avoisinantes.

 

 

 

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J.Paquay à la batée dans les années ‘30

Après la disparition des Celtes

L’Arduenna antiqua, prise dans son sens le plus large, connut le partage entre les Gallo-Belges. Ces derniers formaient l’arrière-garde de la nation gauloise, attardée en Germanie et qui achevait le vaste mouvement humain parti d’au-delà du Rhin. Trois tribus dominantes se réservèrent des parts du territoire ardennais où existaient les ressources métallifères. Les Trévires, Nerviens et Eburons réexploitèrent les aurières, d’autant qu’ils détenaient le privilège de battre monnaie, en l’occurrence des statères d’or frappés de leurs marques distinctives. En effet, la présence des haldes ne se limite pas à la zone qui joint les sommets ardennais et qui correspond à la frontière sud de l’antique Eburonie. Des tertres d’orpaillage existent en haute Lomme et à Suxy au sud de Neufchâteau en ex-territoire trévire, mais naguère aussi aux confins ouest de la Nervie, le long de l’Oise et de la Wartoise. Dès lors, comment expliquer ces diverses venues d’or en certains endroits précis du massif ardennais, si ce n’est par la géologie.

 

 

 

Le “long town” est soigneusement ratissé de ses pierres de petit calibre

Le “long town” est soigneusement ratissé de ses pierres de petit calibre

 

 

Le samedi 28 août 1920, la grande salle de l’hôtel ZU Hohen Venn à Sourbrodt accueillait une session plénière de la Société belge de géologie. Les congressistes y débattraient de l’hypothèse avancée par le grand physiologiste Léon Frédéricq qui, naturaliste et «défenseur de la Fagne», considérait le plateau humide et froid de la Baraque Michel comme le reliquat d’un glacier quaternaire. Ce programme, auquel assisteraient d’éminents représentants de diverses disciplines scientifiques, prévoyait aussi la démonstration pratique de l’existence de «l’or dans les alluvions de la Haute Belgique». Cette mission avait été confiée à l’ingénieur-géologue H. Rauw, assistant du professeur Maximin Lohest à la Faculté des Sciences (U.L.G). Le soir, à 20 hrs, en ouvrant les débats à Sourbrodt, ce dernier pouvait proclamer combien l’or de l’Ardenne était devenu une réalité aux yeux de ceux qui avaient suivi l’orpaillage, l’après-midi sur les rives de la Warchenne à Faymonville.

Les recherches de H. de Rauw avaient débuté en 1908

A la veille de la Grande Guerre déjà, il disposait d’une quantité d’or natif recueillie dans une zone qui se situe, géologiquement parlant, en bordure sud du massif cambrien de Stavelot, c’est-à-dire à la rencontre de celui-ci avec son pourtour gedinnien. En termes géographiques, on dirait donc «entre Faymonville et les Tailles». Ce chercheur d’or enthousiaste poursuivra ses recherches, afin de déterminer si le métal jaune ardennais provient du Cambrien ou du Gedinnien… Sur la voie tracée, s’ensuivra une longue série d’études qui, de 1921 à ces dernières années, ne feront état que de maigres trouvailles de paillettes. D’autres géologues s’efforceront de répondre à la question qui reste toujours pendante à l’approche du XXIème siècle: Les filons de quartz qui sillonnent le sous-sol de l’Ardenne sont-ils aurifères? Mais la pénurie chronique des subsides officiels décourage rapidement la poursuite de toute recherche faite «à compte d’auteur». Les chercheurs les plus décidés orientèrent finalement leur carrière vers des perspectives plus lucratives, en Afrique par exemple…

Ecrit par :Lambert Grailet 27-10-2001


 

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Ces dernières années, des mémoires universitaires ont pourtant fourni des descriptions élaborées des sites aurifères de la haute Amblève et de la haute Lomme, au point d’apporter un éclairage nouveau sur les techniques utilisées par les Anciens. Elles donnent à penser que de réels filons peuvent avoir été exploités, aux temps protohistoriques… Des datations au C.14, les résultats des analyses palynologiques, les découvertes récentes de trésors enfouis à la hâte, permettent d’imaginer que les Romains ne profitèrent pas de l’or exploité par les Gallo-Belges ardennais… Après la lecture de l’histoire passionnante qu’a publiée Lambert GRAILET (en 1998), des réflexions viennent à l’esprit. Nos ancêtres auraient-ils remué des millions de tonnes d’alluvions pendant des siècles, pour n’obtenir que des paillettes? La nature aurifère de l’Ardenne est un fait plus réel que mythique.

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