Le chevreuil, prince d’Ardenne
Le chevreuil, prince d’Ardenne
Le chevreuil, prince d’Ardenne
Moins majestueux que le cerf, le chevreuil n’en reste pas moins un magnifique petit cervidé dont l’agilité n’en finit pas de surprendre. Son tempérament peu farouche dans certaines circonstances pourrait faire croire que l’on connaît tout de lui, et pourtant…
Dérivé du latin « capra » chèvre, le nom latin du chevreuil est Capreolus capreolus. C’est un petit cervidé dépassant rarement 80 centimètres au garrot et 1,30 m de longueur, pour une courte trentaine de kilos. Il peut vivre une quinzaine d’années, dans de bonnes conditions.
Plus légère que le mâle, la chevrette s’en distingue extérieurement par l’absence de bois – mais l’observation de ceux-ci n’est pas toujours aisée – un corps en cône tronqué s’élargissant vers les membres postérieurs et, lors de la fuite, une tache blanche (le miroir) en forme de cœur au niveau de l’arrière-train. Le miroir est en forme de fève chez le mâle.
Si la chevrette conserve sa dénomination toute sa vie durant, le vocabulaire de vénerie en attribue plusieurs au mâle qui devient chevillard entre 6 mois et un an. La pousse des premiers bois en fait un daguet en référence aux bois dépourvus de ramification puis un brocard (ou broquart dans une orthographe française plus ancienne) dès la deuxième repousse des bois.
Affaire de bois
C’est aux environs du septième mois de son existence que le chevillard voit apparaître sa « première tête » composée de deux pivots qui serviront de base aux dagues dépourvues de meules qui apparaîtront à un an.
La partie centrale – perche – se garnira ensuite de deux andouillers. Un brocard, si vieux soit-il, ne possédera donc jamais plus de trois « pointes » : seule une perlure plus ou moins abondante viendra ensuite marquer des ans l’irréparable outrage. Encore conviendra-t-il de ne pas trop s’y fier, tant il est vrai qu’à ce niveau comme à tous les autres la qualité du biotope et l’état de santé de l’animal observé jouent un rôle déterminant.
Les bois tombent au début de l’hiver, laissant une plaie sanguinolente qui va cicatriser très rapidement avant la repousse d’une nouvelle couronne recouverte de velours. Vers la fin-mars, une fois la minéralisation terminée, les chevreuils mâles vont se débarrasser de cette pellicule désormais inutile en frottant leurs bois tout neufs contre les arbres : c’est la fraie, redoutée par les sylviculteurs, car ces « frottis » provoquent des plaies sur les arbres et les dévalorisent commercialement.
Un faux faux-rut
D’autant que ce comportement va se poursuivre bien au-delà de la fraie. L’activité hormonale du mâle l’incite en effet à marquer son territoire de la sorte jusqu’au mois d’août !
Tiens, parlons-en, de ces hormones et de tout ce qui va de pair(e)… Car la reproduction de ce beau mammifère forestier n’est pas spécialement du genre commun. Ni, soit dit en passant, un modèle de galanterie masculine : c’est du rude !
Le rut proprement dit couvre principalement, en Ardenne, une période comprise entre la mi-août et la fin-septembre. Toutefois, par un phénomène de gestation différée, les embryons fécondés ne se fixeront que quatre à cinq mois plus tard.
Un second rut survient entre octobre et décembre, que l’on appelle improprement « faux -rut ». Faux, en ce sens qu’il constitue en quelque sorte un rattrapage pour les femelles non fécondées ou mal fécondées lors du premier rut. Et à la différence de ce qui se passe lors de ce dernier, la gestation est directe.
La gestation « vraie » durant quelque cinq mois, dans un cas comme dans l’autre, les faons naîtront donc en mai-juin. Une portée en comprend généralement deux, capables de se mouvoir quelques minutes plus tard. Une vitalité qui va leur permettre de suivre leur mère dans ses déplacements jusqu’au moment où ils pourront à nouveau se rouler en boule bien à l’abri d’un pelage tacheté les fondant admirablement dans leur environnement.
Laissez les faons tranquilles !
L’allaitement dure de 2 à 3 mois durant lesquels la chevrette ne sera jamais bien loin de ses rejetons, qu’elle défendra avec acharnement contre les prédateurs.
Sauf si l’un ou l’autre promeneur inconscient aux mœurs quelque peu anthropomorphiques (ce qui constitue généralement un pléonasme, tous animaux confondus) n’a pu résister à l’envie de les toucher : l’odeur humaine que la mère retrouvera partout autour de ses jeunes et surtout sur leur pelage à son retour condamnera alors invariablement ceux-ci à une mort par abandon ! Ce qui n’arrive qu’exceptionnellement en d’autres circonstances !
Une fois sevrés, les jeunes resteront au sein d’une harde regroupant plusieurs familles jusqu’aux naissances suivantes. Les mâles adultes sont en général absents de ces regroupements, menant une vie solitaire à l’exception des périodes de rut.
Pour le reste, le chevreuil est un animal essentiellement sédentaire et forestier. Ses déplacements couvrent un territoire restreint à une cinquantaine d’hectares en moyenne, sur lequel il dispose de reposées où il passe la moitié du temps. Et, en principe, son système digestif digère peu ou mal les graminées sèches, ce qui limite ses incursions en terrain cultivé.
En principe, car certaines populations semblent s’être adaptées et mènent des incursions dans les champs au moment des cultures d’hiver.
Timidité à géométrie variable
Pour ce qui relève de l’observation, celle du chevreuil est à la fois d’une grande simplicité et… d’une certaine complexité. En fait, sur un territoire restreint qu’il connaît comme sa poche, il vous observera plus souvent que vous l’observerez, tapi dans un buisson à l’abri de son pelage variant du roux vif au gris fauve suivant l’âge et/ou le biotope.
En fait, l’ouïe, et surtout l’odorat, semble être les éléments déterminants dont il faudra tenir compte pour l’approcher : il ne sait proprement pas “ piffer „ l’être humain, et le moindre craquement de branche le met sur la défensive. Ce qui, paradoxalement, ne sera pas le cas d’un feulement de tronçonneuse ou d’un ronronnement de moteur.
Pour ce qui est de la vue, si celle-ci est excellente et très sensible aux contrastes, la position des yeux sur la boîte crânienne provoque un angle mort dont savent profiter certains prédateurs au nombre desquels les chiens errants font figure de véritables terreurs.
Profitons-en pour rappeler l’adage affirmant à juste titre que « tout chien chasse ». Même s’il s’avère très sympathique et citadin, un chien que son maître laisse courir partout en forêt « pour qu’il fasse de l’exercice » y mettra une pagaille monstre s’il n’y commet pas de dégât à proprement parler. Alors même si vous rêvez – à tort ou à raison – « d’enquiquiner les chasseurs », n’oubliez pas que c’est surtout la faune sauvage que vous enquiquinez …
Particulièrement vif lorsqu’il fuit les intrus, le chevreuil communique par des cris que plus d’un a confondu avec des aboiements. Signalons enfin que la mythologie celtique voit dans le chevreuil (blanc) le symbole du voyage de l’âme vers un nouvel état, après la mort.
Patrick Germain – 2008
Crédit(s) photographique(s): Francis Gengoux
La photo du daguet en velours est de Quentin Sab : www.facebook.com/quentin.mesphotos
Notes :
En Ardenne, on parlera souvent d’une gade (phon. Gatte) pour désigner la chevrette, d’une grosse gade si elle est gravide. Le chevreuil quant à lui devient tchivrou en wallon
Source :
• Cours de chasse-pêche IPEAFP La-Reid 1974
• A et J de Bavière : ” À propos du chevreuil” Le Perron éditeur 1983 ISBN 2-87114-000-6
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